Salut à toutes et tous,
Bienvenue dans Muzeodrome, l’infolettre inspirante qui vous plonge dans la créativité des musées et des espaces d’expositions en établissant des ponts entre le passé, le présent et les futurs.
Ce numéro 113 est un numéro spécial SITEM 2022.
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En immersion au SITEM 2022 👌
La 26ème édition du SITEM (salon professionnel international des musées, lieux de culture et de tourisme) s’est déroulée les 28, 29 & 30 juin 2022. Le salon a eu la bonne idée d’inviter Muzeodrome a être partenaire média de cette édition. Chaque soir, pendant les trois jours de celui-ci, j’ai publié dans Twitter des instantanés un peu singuliers. Et pour ce numéro spécial de l’infolettre, je suis parti à la rencontre de trois structures qui exposaient au SITEM 2022…
Dans les textes présentés (affiches, plaquettes…) par les exposant·e·s de l’édition 2022 du SITEM, un mot était omniprésent : immersion. Si je vous dits immersion, vous pensez probablement tout d’abord à celle dans des univers visuels (salles immersives, casques de réalité virtuelles, …). L’immersion qui occupe le contenu de ce numéro est plus intime et passe généralement par les oreilles, il s’agit de l’immersion sonore. (Si je précise “généralement par les oreilles”, c’est qu’il est aussi possible d’entendre des sons autrement > voir la dernière notule de ce numéro qui revient sur un dispositif précurseur).
Pour ce numéro spécial de l’infolettre, je suis donc parti à la rencontre de trois structures qui produisent des immersions sonores habitées par des narrations émotionnelles : Musair, Unendliche studio, Onyo.
Vous vous interrogez aussi peut-être sur le titre de ce numéro. Celui-ci fait référence à “Twin Peaks: Fire Walk with Me” (1992) de David Lynch, réalisateur états-unien qui travaille en profondeur la dimension sonore de ses réalisations - voir à ce propos le documentaire réalisé par Elio Lucantonio et Michaël Souhaité: “Le Son de David Lynch” (2007).
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Musair 🎵
Musair propose la création de capsules sonores, qui emmènent les visiteurs à la découverte des œuvres d’un musée ou des secrets d’un lieu dans des parcours accessibles via une web-application sur smartphone. Les productions de Musair mobilisent une écriture “à haut impact émotionnel”.
Valentine Rondelez, peux-tu nous présenter Musair ?
L’idée de Musair a germé en 2019, avec l’envie de partager des émotions artistiques et des inspirations nées au contact des œuvres comme des lieux. Le projet s’est d’abord concentré sur des expériences à vivre in situ. Avec nos nouveaux développements, nous créons également des immersions sonores en plein air.
Pourquoi le son ? Et pourquoi privilégier l'immersion narrative et émotionnelle ?
Le son, car nous voulons que les yeux se posent vraiment sur les objets à regarder. Là où beaucoup de visiteurs baissent les yeux vers un cartel en espérant « comprendre », notre écriture cherche à surprendre l’oreille et capter l’attention. Nous guidons le regard à la voix en proposant aux publics d’être dans l’ici et maintenant de l’œuvre, de la ressentir même sans dates et sans références historiques. L’écriture aborde la réalité du sujet souvent en le transposant dans la contemporanéité. C’est cette rencontre d’une œuvre avec nos vies qui crée l’émotion.
Vos réalisations mobilisent beaucoup les musiques et les chansons... Quelles émotions inattendues cherchent à provoquer les réalisations de Musair au travers de celles-ci ?
Provoquer ce n’est pas le mot. Je recherche les musiques qui sont plutôt la prolongation d’une émotion qui est déjà au cœur de l’œuvre : le sujet qu’elle illustre, sa genèse, sa résonance actuelle. Le choix, presque toujours d’une époque différente, est un de mes ressorts narratifs : démontrer que des œuvres que des siècles séparent vibrent à l’unisson. Ça donne des mashup surprenants et marquants.
Une anecdote savoureuse sur la réception de vos productions ?
Le témoignage inoubliable d’Annie, l’une des habitantes d’Arras impliquée dans la co-création d’une capsule sonore pour le Musée des beaux-arts, ateliers que nous avons animés. Elle n’a pas hésité à dire que le Chemin sous bois de Constant Dutilleux était devenu une de ses œuvres préférées, alors qu’au départ elle ne l’aimait pas. Mais alors pas du tout (sic). Et que plus jamais elle ne regarderait un tableau comme avant !
Tu publies chaque semaine une infolettre. Peux-tu nous expliquer son principe et comment celle-ci s'articule avec les productions de Musair ?
Chaque vendredi, c’est comme un édito ! J’analyse une actualité de la semaine à l’aune d’une œuvre d’art. Une manière de prendre du recul, de soigner nos anxiétés, de garder intacte notre capacité à voir le beau. Il n’y pas de sujet dramatique ou léger qui n’ait été peint, écrit ou mis en musique. Début juillet 2022, Musair prouvait avec Brueghel, Monet et… Niagara (c’est ça le mashup !), que nos pratiques agricoles arriveraient à s’adapter au dérèglement climatique.
Pour terminer cet entretien, aurais-tu une ressource sonore singulière à recommander aux lectrices et lecteurs de Muzeodrome ?
La play-list de mon été : les délicieux Retours de plage de Thierry Jousse et Laurent Valéro sur France Musique !
► Les capsules sonores de Musair : https://app.musair.fr
► Découvrir la newsletter de Musair : https://musair.fr
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Unendliche studio 👂
”Pour les non germanophones, « unendliche » signifie « infini » ou « sans fin », comme nos projets et nos idées… C’est imprononçable ? Oui, mais ainsi vous vous souviendrez de nous !”
Hélène Perret, pouvez-vous nous présenter Unendliche Studio ?
Unendliche Studio produit des créations et des parcours sonores, des podcasts, depuis 2014. Nous sommes deux fondateurs, Eddie Ladoire, artiste plasticien sonore et compositeur, et moi-même, Hélène Perret. Ce qui fait notre originalité dans le monde de plus en plus foisonnant de la production audio est notre démarche créative. De nouvelles formes de narration, parfois poétiques, parfois documentaires, des montages étudiés et le fait que nous fabriquions tous nos sons sont devenus nos signatures. Notre connaissance des publics est aussi ce qui nous différencie et ce qui nourrit nos productions.
Les dimensions immersives et artistiques sont centrales dans vos réalisations. En écoutant vos réalisations, on retrouve des ambitions qualitatives proches de celles de l'Atelier de création radiophonique (ACR - France Culture 1969>2018).
Nos productions en sont en effet inspirées. Elles sont écrites par des auteurs et portées par des voix de comédiens ou des gens de radio. Elles sont constituées d’enregistrements réalisés in situ et sont ensuite composées, ciselées comme de véritables objets sonores sur le modèle des fictions ou des documentaires des ACR. Notre pratique de la création sonore s’ancre aussi dans l’histoire de la musique et des arts sonores développés dans le champ des arts plastiques. Le son est tendance mais l’immersion sonore ne date pas d’aujourd’hui.
Vous avez développé vos propres systèmes des diffusions (application, site web) - pourquoi ce choix ?
Nous avons fabriqué nos propres outils lorsque nous ne les trouvions pas sur le marché. Nous devions adapter un outil existant à nos contraintes ou bien imaginer un nouvel outil, plus adapté à notre pratique.
Entre autres :
■ L’application pour parcours sonores géolocalisés Listeners développée dès 2011.
■ L’application pédagogique Audio Room de pratique de la création sonore développée en 2010, déclinée en Application France Info Junior pour Radio France en 2018.
Un retour d’une auditrice ou d’un auditeur sur une de vos productions?
A l’occasion des JEP 2022, nous avons livré la deuxième balade sonore « Histoire, patrimoine(s) et street art » sur les trois conçues pour la Ville de Bayonne. Nous avons fait le parcours avec les guides conférenciers de Ville d’Art et d’Histoire qui restaient plutôt méfiants vis-à-vis d’une visite à effectuer en autonomie et qui ont compris en faisant que nos balades étaient complémentaires d’une visite patrimoniale classique, proposaient une autre expérience en rien concurrente de leur métier toujours indispensable.
Une ou deux réalisations pour découvrir vos productions ?
■ Le podcast du Palais de la Découverte « Les Esprits du Palais », diffusé sur toutes les plateformes de podcasts et en intégralité sur le site Internet du musée.
■ La balade sonore de la Monnaie de Paris et de l’Institut de France, « Les Lumières de la Rive Gauche », à écouter sur place en téléchargeant Listeners ou sur le site Internet de la Monnaie de Paris
Auriez-vous un·e artiste singulièr·e dans le domaine du son à faire découvrir aux lectrices et lecteurs de Muzeodrome ?
Le compositeur Luc Ferrari et sa série des "Presque Rien" (composée entre 1967-1970), des paysages recomposés par le son.
► Le site web d’Unendliche Studio : http://unendliche-studio.com/
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Onyo 🌳
“Malgré notre hyperconnexion, nous n'avons jamais été aussi déconnecté de nous-même, des autres et du vivant“. Fondé par Charlotte-Amélie Veaux et Yann Garreau, Onyo (le monde inouï) propose, en réponse à ce constat, des “fables écologiques et sensorielles pour se retrouver“.
Onyo, pouvez-vous nous présenter votre premier projet 'L'Arbre-Soleil' ?
L’Arbre-Soleil est une fable écologique et sensorielle qui invite une douzaine de personnes à prendre part à un rituel de régénération d’un Arbre sacré. Notre ambition est d’adresser autrement les enjeux écologiques : par l’émotionnel, le merveilleux, le bien-être. Aujourd’hui, il y a beaucoup de sensibilisation aux enjeux écologiques par les informations scientifiques. C’est fondamental, mais malheureusement, cela ne suffit pas changer nos modes de vie ! Nous sommes convaincus qu’il faut également apporter une dimension sensible pour ouvrir ces échanges. L’Arbre-Soleil est donc à la fois une œuvre d’art, et un outil de médiation.
Concrètement, notre première histoire prend la forme d’une installation sonore et lumineuse : les participants entrent dans une yourte, s’assoient autour d’une sculpture lumineuse en papier de l’Arbre, mettent un casque audio et ferment les yeux pendant une quinzaine de minutes. Nous utilisons du son spatialisé et des jeux de lumières, qui vont placer nos participant·e·s au cœur de la narration !
Comment vous est venue l’idée de créer une telle expérience ?
Avant de se lancer dans Onyo, nous avons réalisé un tour du monde sur les expériences immersives ! Pendant un an nous avons exploré l’immersion sous toutes ses formes : technologiques ou non, artistiques, ludiques, d’apprentissage… Et partager ces connaissance via notre blog, UXmmersive. Initialement, cela ne devait être qu’une parenthèse d’un an pour approfondir ce sujet… Et puis nous sommes tombés dans la marmite de l’immersion et avons voulu nous lancer à notre tour.
Le son n'est pas seule dimension du projet qui fait intervenir différent artistes et une structure spéciale...
En effet, la scénographie et les lumières viennent renforcer l’immersion ! Dans sa version la plus développée, l’expérience prend place dans une yourte, qui attire la curiosité des passants, et crée une ambiance magique. Nous avons également incarné l’Arbre-Soleil avec une sculpture lumineuse en papier autour duquel les participants s’assoient. Cette œuvre a été réalisée par un artisan d’art, Charles Macaire. Cette dimension artisanale, incarnée, apporte beaucoup de poésie et une matérialité au numérique, à rebours des représentations dominantes.
Vous travaillez déjà sur le projet suivant. Le son sera-t-il toujours central dans celui-ci ?
Tout à fait ! Le son permet de se reconnecter à notre imaginaire et a un pouvoir immersif fort. L’Arbre-Soleil a posé les jalons de l’ADN des œuvres d’Onyo : le son, l’artisanat, la narration poétique, l’écologie, le merveilleux, le collectif.
Auriez-vous une installation sonore particulièrement singulière à recommander aux lectrices et lecteurs de Muzeodrome ?
Le studio Tamanoir propose une installation-spectacle sonore, les Naufragés. Une dizaine de participants vivent un rêve, chacun avec un casque audio qui les guident dans l’espace. Ce sont eux les acteurs !
Dans un style très différent, il y a les expériences d’horreur de Darkfield à Londres, en son binaural et dans le noir. Très efficace !
► Le site web d’Onyo (le monde inouï) : https://onyo.fr/
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Retour à la conduction 🦴
Connaissez-vous ostéophonie ? Ce phénomène permet la “propagation du son jusqu'à l'oreille interne via les os du crâne”, il est aussi nommé conduction osseuse.
L’histoire de l’ostéophonie est déjà très longue. Dés le XVIe siècle, “Jérôme Cardan mène des expériences sur le crâne humain et observe que le son peut être transmis à l’oreille grâce à une tige vibrante placée entre les dents.” (source Wikipédia).
Depuis quelques années, la conduction osseuse est dans l’actualité, du coté des appareils auditifs et même du coté de la médiation muséale
Initié par Sébastien Depertat et Thomas Bonnenfant, Losonnante “a été développé par les laboratoires du CNRS PACTE et CRESSON” et il a fallu “ 5 ans de recherches et 4 prototypes” pour l’élaborer. Si cet étonnant dispositif de médiation a permis de populariser la conduction osseuse dans l'univers des musées et expositions, il a eu des précurseurs. Les artistes ont souvent plusieurs longueurs d’avance…
Questionnant notre engagement envers les objets physiques, l’artiste Markus Kison a étudié dans la classe de nouveaux médias de Joachim Sauter à l'université des arts de Berlin. Dans le cadre de cette classe, il développe en 2007 l'installation "Touched Echo" pour la ville de Dresde (Allemagne) - une intervention médiatique minimale dans l’espace public.
“Les visiteurs de la Terrasse de Brühl à Dresde sont ramenés dans le temps, à la nuit du terrible raid aérien qui a dévasté leur ville le 13 février 1945. Dans son rôle d'interprète, le visiteur s'imagine à la place des habitants de Dresde qui ont dû se boucher les oreilles de peur pour ne pas entendre le bruit épouvantable des explosions, il y a 65 ans. Lorsque l'on s'appuie sur la balustrade, le bruit des avions et des explosions est transmis par la balustrade oscillante, à travers le bras, directement dans l'oreille interne.”
Markus Kison
La borne de Lossonante fait écho à l'œuvre créée par la géniale musicienne et artiste multimédia états-unienne Laurie Anderson - une œuvre présentée en 1978 au MoMA (New-York).
“Exposée dans la galerie PROJECTS du Musée d'art moderne du 15 septembre au 29 octobre, l'installation de Laurie Anderson, appelée “Handphone Table”, consiste en une simple table en bois de 1,5 m de long dotée d'un système sonore dissimulé que l'on ne peut entendre qu'en s'impliquant activement dans l'œuvre.” Communiqué de presse du MoMa - août 1978
Laurie Anderson avait réalisé un dessin explicatif où elle décrivait son installation novatrice avec ces termes :
Des haut-parleurs puissants qui compriment et amplifient le son sont intégrés dans la table. L'auditeur ne peut entendre la source sonore enregistrée qu’en plaçant ses coudes dans les dépressions de la surface de la table et en se couvrant les oreilles. Le son est conduit de la bande magnétique via la vis conductrice, le coude, le crâne. Les cavités crâniennes deviennent en fait des haut-parleurs..
Une des ’"Handphone Tables" figure dans la collection du Mac Lyon depuis 1999. Elle a été présenté lors de la rétrospective de l’artiste proposé par le musée en 2003.
Grande exploratrice marquée par les narrations, Laurie Anderson a ouvert beaucoup de portes. En conclusion de cette notule, je ne peux n’empêcher de vous inviter à visionner la séquence “Drum Dance” de son magnifique film “Home of the Brave” (1986).
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Voila, c’est déjà la fin de ce numéro 113 “Spécial SITEM 2022”.
Un numéro un plus long que les précédents.
Merci pour votre attention, je suis Omer Pesquer, consultant spécialiste des technologies et des usages associés au numérique .
La suite au prochain numéro,
à tout soudain,
o m e r
P.S. : Merci à Michel Kouklia (@dr_kouk) pour sa relecture. Au début des années 1980 , Michel Kouklia était assistant réalisateur et régisseur pour un court métrage de la réalisatrice Christine Van de Putte. Ce film tourné en 16 mm rassemblait plusieurs femmes musiciennes contemporaines dont Laurie Anderson. Michel m’indique que “le tournage de la séquence de Laurie Anderson se déroulait dans un dépôt d'autobus désaffecté - le sol était jonché d'éclats de verre - Laurie jouait du violon dans ce décor”.