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Bienvenue dans Muzeodrome, l’infolettre inspirante qui vous plonge dans la créativité des musées et des espaces d’expositions en établissant des ponts entre le passé, le présent et les futurs.
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Ce numéro 119 débute sur un constat : nous vivons probablement la fin d’une époque !
▙
Changement d’époque 💥
En 2020 et 2021, pendant les confinements provoqués par la crise sanitaire, les entreprises des technologies numériques, particulièrement les plus grosses basées dans la Silicon Valley, avaient encore gagné en visibilité et puissance. Des spécialistes annonçaient alors que le monde avait basculé dans le (presque) tout numérique. Point culminant de ce temps de surpuissance : l’annonce effectuée par Facebook/Meta fin 2021 du chantier titanesque d’un Metaverse.
Dans le courant de l’année 2022, le balancier est allé fortement dans l’autre sens. Ces dernières semaines, les annonces ont plutôt été celles de licenciement en masse que de nouvelles fonctionnalités. Plus de 100·000 suppressions d’emplois auraient été effectuées dans le secteur depuis le début de l’année. Et le pire serait peut-être à venir.
Dans le drame qui se joue sous nos yeux, une entreprise est actuellement sous le feu des projecteurs : Twitter. Depuis qu’Elon Musk a acheté Twitter et libéré l’oiseau bleu (selon ses propres mots), le réseau social est en plein chaos. Dans son édition du 18 novembre 2022, “The Download”, l’excellente infolettre quotidienne de la MIT Technology Review, indiquait :
“Des membres du personnel de Twitter récemment partis ont déclaré au MIT Technology Review qu'ils craignaient que la plateforme n'ait plus que quelques semaines à vivre, compte tenu des effectifs actuels, des démissions massives survenues au cours de la nuit et du moral des quelques personnes qui restent.”
Ceci est d’autant plus effrayant, qu’une grande partie de l'équipe chargée de superviser l'infrastructure technique de Twitter aurait été licenciée. Des pannes plus ou moins importantes sont donc envisageables. Et si la plateforme finissait par s’effondrer que deviendraient les contenus publiés depuis plus de 10 ans par les institutions culturelles (Pour ma part, par prudence et par sécurité, je vous recommande de télécharger une archive de vos données).
Ce moment particulier est celui de la réflexion sur nos usages et nos pratiques. Dans “Rachat de Twitter : partir ou rester ?”, un article à ce sujet, Solweig Mary, directrice de l’agence Digitalis, donne quatre recommandations aux responsables des médias sociaux des institutions culturelles :
► Restez en veille avant tout
► Poursuivez votre stratégie, communiquez en interne (Quitter comme rejoindre une plateforme n’est pas une décision à prendre à la légère)
► Tweetez moins, expérimentez ailleurs (Recentrer vos efforts sur une autre plateforme où votre institution est déjà présente)
► Restez fidèle à votre mission et à vos valeurs (Votre e-réputation en dépend)
Solweig Mary termine son article par la question : “Et si cette descente aux enfers de Twitter, imposant un rythme soutenu pouvant aller jusqu’à plusieurs tweets par jour, était l’opportunité d’opter pour une stratégie éditoriale plus sobre?”
Je partage ses conseils et réflexions avec ceci en plus, ce moment est aussi une belle opportunité de s’émanciper du capitalisme de surveillance mis en place par les géants du web. Nous sommes peut-être à un tournant historique, nos choix en commun dans les mois à venir vont être déterminants.
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Rejoindre Mastodon ? 🤗 🦣
Alors que la pérennité de Twitter semble incertaine, la question du coté des musées et des structures culturelles est « faut-il quitter Twitter et pour aller où ? » comme le souligne dans un thread, Muriel Jaby, directrice de la communication au Musée d’art contemporain de Lyon.
A la mi-novembre 2022, le réseau Mastodon a adopté sa quatrième version et a dépassé les 2 ou 3 millions d’utilisateurs actifs (ce qui est à la fois peu et beaucoup). Mastodon est souvent médiatisé comme l’alternative principale à Twitter. Au delà de quelques similitudes, ce n’est pas vraiment le cas.
A l’origine Mastodon est un logiciel open source. Créé en 2016 par l’informaticien allemand Eugen Rochko, alors âgé de 24 ans, ce logiciel s’installe sur un serveur où des utilisateurs peuvent créer des comptes : cette installation se nomme une instance. Aujourd’hui, il existe plus de 5000 instances de tailles diverses, de un à des centaines de milliers d’utilisateurs (comme mastodon.social, celle administrée par Eugen Rochko). Ces instances forment un réseau décentralisé , elles communiquent entre elles au travers du fédivers ou fediverse (mot-valise pour “fédération” et “univers”). Le fédivers englobe différents services interopérables dont d’autres réseaux sociaux.
Chaque instance regroupe une communauté d’utilisateurs et dispose de son propre règlement. Les instances peuvent être généralistes ou thématiques. Il existe des instance pour différentes communautés professionnelles (bibliothécaires, designers, journalistes…). Mais à ma connaissance, il n’en n’existe pas pour les musées (on pourrait souhaiter des ouvertures d’instances spécifiques du coté de l’ICOM ou de grosses structures culturelles).
Le réseau Mastodon est un espace en ligne d’entraide et d’échanges. Un espace qui ouvre vers d’autres numériques (surtout ceux liés aux logiciels et formats ouverts) - une chance de bifurquer et de quitter, au moins un peu, le capitalisme de surveillance. Toutefois, cet espace nécessite un certain temps d’apprentissage et une implication sur le temps long pour prendre conscience de sa richesse (comme c’était le cas à l’origine pour Twitter, lorsque la plateforme à l’oiseau bleu s’appuyait sur tout un ensemble de solutions tierces).
Alors, vous me suivez ? Mon compte est : @_omr@social.tchncs.de
Compléments et aides :
- Le site mastodon.help (en français)
- Les conseils aux nouveaux arrivants de la #TwitterMigration par le philosophe des milieux techniques Mathieu Triclot
- Guide de découverte de Mastodon (et du Fédivers) - projet collectif publié dans le jardin numérique de Louis Derrac
- Une liste des acteurs des GLAM présents dans Mastodon (merci à @MarieVC)
- L’article “Qui est Eugen Rochko, le jeune créateur du réseau social Mastodon ?” publié dans M le mag par Marine Bourrier le 21 novembre 2022.
- L’interview du Eugen Rochko publié dans le Time.com début novembre 2022.
- Un peu de musique de Mastodon, le groupe de sludge metal états-unien qui a inspiré à Eugen Rochko le nom de son projet.
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Expérimenter Mastodon 🧪🦣
Le 11 novembre 2022, le Musée Saint-Raymond (MSR) de Toulouse a rejoint Mastodon. Alors que très peu de musée ont adhéré au réseau distribué, j’ai trouvé ce mouvement du MSR particulièrement intéressant. En 2008, ce sont des établissements de Toulouse, les Abattoirs et le Muséum, qui ont été pionniers du coté des réseaux sociaux pour les musées français.
Pourquoi le Musée Saint-Raymond a-t-il rejoint Mastodon à la mi-novembre 2022 ? Qu'est-ce qui a motivé le musée à s'engager dans ce réseau distribué ?
Le musée a effectivement observé la montée en puissance de Mastodon et l’accélération des départs de Twitter, deux éléments liés aux questionnements qui secouent actuellement le réseau.
L’arrivée du MSR sur Mastodon relève toutefois davantage de la phase exploratoire qu’autre chose, sans stratégie encore bien définie à ce stade. Il s’agit surtout d’observer ce qu’il s’y passe, de bien prendre le temps de comprendre les usages de ce réseau, qui sont de surcroit en pleine mutation.
Ce travail avait été précédé par l’ouverture d’un compte personnel par Lydia Mouysset, notre community manager, toujours dans cette optique d’observation et pour se (re)familiariser avec l’outil.
Selon vous, comment l'arrivée du Musée Saint-Raymond dans Mastodon répond aux axes stratégiques de son projet scientifique et culturel ainsi qu’à ses missions envers ses publics ?
L’objectif du MSR reste d’aller là où le public se trouve ; à partir du moment où on peut observer ce jeu de vases communicants entre Twitter et Mastodon, nous ne faisons que répondre à notre objectif en y allant. Le fonctionnement paraît finalement assez peu différent de Twitter, à l’inverse par exemple de Tik Tok que nous n’avons pas investi, faute de moyens humains pour le faire.
Quelques institutions françaises avaient rejoint Mastodon en 2017 (comme Les Champs Libres ou le Musée du Quai Branly), pour ensuite rapidement abandonner. Quels seront pour vous les signes qui vous inciteront à continuer de publier et d'échanger dans celui-ci ?
Lydia Mouysset avait ouvert un compte personnel sur Mastodon en 2017, déjà pour observer, et elle avait pu noter la présence de ces institutions. Mais si la question avait pu se poser pour le MSR, il n’y avait pas eu de suites.
Ensuite, ce seront les interactions que nous pourrons établir avec nos abonnés et leur intérêt pour nos publications - même s’ils sont plus difficiles à mesurer que sur Twitter – qui vont motiver notre choix de continuer ou non sur Mastodon. Et puis c’est finalement aussi assez exaltant de repartir de 0 et de nouer de nouvelles relations.
Nous n’avons donc pas déterminé de stratégie bien définie. Nous voulons faire découvrir nos collections mais aussi publier des choses différentes de celles qui sont postées sur Twitter car certains de nos abonnés sont présents sur les deux réseaux. Cette arrivée, c’est aussi, en quelque sorte, un moyen de refaire connaissance.
Vous attendez-vous à ce que d'autres musées francophones vous suivent ? Allez-vous inciter d'autres institutions et vos publics à rejoindre Mastodon et le fédivers ?
C’est difficile de dire si d’autres musées vont suivre, chacun restant lié par ses pratiques, ses objectifs et ses moyens.
De notre côté, nous n’avons pour l’instant pas annoncé notre présence sur Mastodon, ni au public en général ni aux abonnés de Twitter, objectif donc non tenu avec la parution de cette interview. Nous nous donnons le temps d’apprivoiser l’outil et de faire connaissance avec nos abonnés et leurs usages. L’accueil que nous avons reçu est, pour l’instant, plutôt bon et enthousiaste.
► Le compte Mastodon du Musée Saint-Raymond : @msr_tlse@piaille.fr
► Celui de Lydia Mouysset : @lydiamouysset@piaille.fr
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A vous de toucher 👈
Le 11 novembre 2022, Ludovic Borie publie ce message :
Je voulais aller à l'expo "Prière de toucher" au Palais des Beaux-Arts de Lille, c'est maintenant chose faite ! Expérience rigolote, on nous permet de découvrir des sculptures les yeux bandés. L'effort pour l'esprit est considérable !
Je me dis qu'au travail on devrait se sensibiliser à l'accessibilité de la même manière...
Déjà présentée dans plusieurs villes, l’expérience sensorielle “Prière de toucher, l'art et la matière” est le “reflet d’une démarche collective et itinérante dans six musées régionaux français membres du réseau FRAME… Cette initiative a été conçue initialement en partenariat avec le musée du Louvre par les équipes du musée Fabre, accompagnées dès l’origine du projet par des personnes non et malvoyant·e·s.” (Présentation du Palais des Beaux-Arts de Lille).
Je ne connaissais pas Ludovic Borie auparavant, mais sa publication m’a interpellé. J’ai donc décidé de le contacter pour l’interviewer.
Bonjour Ludovic, merci d’avoir accepté de répondre à mes questions, pourriez-vous vous présentez ?
Je m’appelle Ludovic, 37 ans, développeur informatique, marié et papa d’une petite fille de 5 ans.
Comment avez-vous découvert l'exposition "Prière de toucher, l'art et la matière" au Palais des Beaux-Arts de Lille ?
On en a discuté plusieurs fois avec mon épouse après avoir vu les affiches en ville, et le concept nous a tout de suite interpellé.
Quel était auparavant votre rapport avec les #NePas, interdictions présentes dans les musées, particulièrement celle de toucher ?
J’ai un rapport particulier aux musées. Je suis intimidé, j’ai toujours trouvé un côté très solennel, voir effrayant dans une visite. Déjà, parce que je ressens toujours une certaine honte devant l’ampleur des sujets que je ne maitrise pas. Ensuite parce qu’il y a toujours une distance même physique entre le visiteur et les œuvres. La petite barrière par terre qui empêche de s’approcher, les gardiens assis dans un coin de toutes les salles pour surveiller, le silence religieux qui empêche d’en discuter… Pas de photo, pas de flash, il ne faudrait pas abimer l’œuvre même avec de la lumière… Alors franchement, toucher, ça ne me serait pas venue à l’idée.
Comment avez-vous appréhendé et vécu l'expérience ?
Nous y sommes allés en familles, avec mon épouse et ma fille, mais aussi ma mère. On s’est dit que c’était l’occasion de vivre un moment ludique dans un musée avec une enfant de 5 ans ! En arrivant ma première pensée a été liée au COVID. « Il est propre le bandeau pour les yeux ? Et les œuvres, on les touche vraiment toutes et tous sans nettoyage ? » Et puis j’ai vu le gel, obligatoire, ainsi que la petite note à propos de la propreté. Allons y. J’ai guidé ma mère avec les yeux bandés à différentes œuvres, on a joué à découvrir les matières ou les formes, pendant que ma fille guidait sa maman avec joie. On a pu inverser les rôles, et on a eu du mal à faire quitter l’endroit à notre fille qui s’est vraiment prêtée au jeu. La suite de la visite a été plus classique dans la galerie des sculptures. Mais la découverte des matières, du marbre, du bronze, de la pierre, a donné une dimension beaucoup plus ludique à la visite.
Avez-vous ensuite recommandé l'exposition et pourquoi ?
J’en ai parlé sur les réseaux sociaux principalement à cause de mon métier : l’expérience du musée les yeux bandés m’a interpellé sur l’accès des personnes en situation de handicap à la culture. Et étant développeur, je me suis trouvé bien égoïste à trop peu penser à l’accessibilité de mes propres créations numériques. J’en retiendrai ces deux points :
- Amenez y vos enfants pour qu’ils voient qu’un musée n’est pas un endroit avec un fossé entre eux et les œuvres
- Je ferai preuve de plus d’empathie. La vue n’est pas le seul sens pour appréhender la culture, et par extension le monde qui nous entoure.
Merci Ludovic.
► “Prière de toucher, l'art et la matière” est a expérimenter gratuitement au Palais des Beaux-Arts de Lille du 20 octobre 2022 au 27 février 2023 - voir cette vidéo et cet article sur le site franceinfo. En complément, je vous recommande cet article publié par Lucie Revellin dans le blog ExpoScope (lors de la présentation de l’exposition au musée des beaux-arts de Lyon en 2019), ainsi que l’épisode 34 du podcast “Sens de la Visite” (capté lors de la présentation de l’exposition au Musée des Beaux-Arts de Rouen en 2022).
/Merci Emeline Parizel pour m’avoir gentiment signalé la publication de Ludovic Borie dans Mastodon.
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Vous les avez peut-être ratées, Muzeodrome a compilé ces informations et ressources pour vous :
Mascottes | Le Vagina Museum (voir n° de l’infolettre) a très rapidement rebondi sur le design évocateur des « Phryges », les mascottes officielles des JO de Paris 2024 > “Nous avons publié un nouveau guide sur l'anatomie du clitoris ! Voici les parties de l'organe interne et externe”.
Le chalenge de novembre | La première notule du n°1 de l’infolettre parlait du chalenge #Museum30. Dans Twitter, seuls deux musées français participent pour l’instant à l’édition 2022 : le Musée de la Bataille de Fromelles (59) et le Musée d'Histoire de la Vie Quotidienne (Petit-Caux, 76). Ce dernier indique “Pour un petit musée comme le nôtre, sans community manager, #Museum30 nous permet d'avoir une programmation régulière et de trouver de nouvelles idées pour parler du musée. De la contrainte naît l'inspiration !'“. Solweig Mary qui avait traduit en français les mots clés des éditions précédentes (voir n°50 de l’infolettre) ajoute la remarque suivante “Globalement, je suis moins convaincue par les challenges de ce type (Twitter en tout cas). Ce n'est aujourd'hui plus assez pour engager une communauté. Mais il y a bonnes idées de contenus à garder dans #Museum30, mais à repartir dans le temps tout en s'amusant avec les formats !“
Visites | Le 9 novembre 2022, juste un peu avant ses 10 ans (le 4 décembre 2022), le Louvre-Lens a accueilli son 5 millionième visiteur (une jeune visiteuse).
Mot-clic | Le hashtag #jourdefermeture est toujours très utilisé plus de 10 ans après sa création. Celui-ci avait été lancé en août 2012 par des membres actifs de la communauté museogeek dont Sébastien Magro (alors aux manettes du compte Twitter du Musée du Quai Branly). A propos des hashtags historiques, une (re)lecture de la notule “En ligne depuis longtemps” publiée dans le n°29 de l’infolettre en mai 2020, s’impose ;-)
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Voila, c’est déjà la fin de ce numéro 119 - Merci pour votre attention
La suite au prochain numéro - à tout soudain,
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Je suis Omer Pesquer. Spécialiste des (autres) numériques, j'accompagne les organisations culturelles pour stimuler et prolonger leurs rencontres avec leurs publics.
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Les 118 éditions précédentes de Muzeodrome sont consultables ici.
P.S.: Merci à @dr_kouk pour sa relecture de ce numéro.