Salut à toutes et tous,
Bienvenue dans Muzeodrome, l’infolettre inspirante qui vous plonge dans la créativité des musées et des espaces d’expositions en établissant des ponts entre le passé, le présent et les futurs.
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“Entre produire plus, et polluer moins, il va falloir choisir”. Aujourd’hui, comme le souligne le titre de l’ouvrage de Timothée Parrique, nous nous trouvons probablement face au choix déterminant de “Ralentir ou périr”.
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Un monde de déchets 🚯
Nous produisons trop de déchets ! En février 2021, un article du Figaro titrait “500 kilos de déchets générés par an et par personne en Europe”. Cet article basé sur les données d’Eurostat 2019 montrait au travers d’une infographie qu’il y avait aussi souvent un lien entre le nombre de kilogrammes de déchets et le PIB par habitant (particulièrement pour les 3 pays avec un PIB par habitant supérieur à 62·000 euros > Suisse, Norvège & Luxembourg). Autre point intéressant, la Belgique qui disposait d’un PIB par habitant supérieur à la France en 2019 produisait par habitant moins de déchets que celle-ci (Belgique, PIB : 35 940 euros, 416 kg - France, PIB : 33 270 euros, 546kg).
Dans ces chiffres ne sont considérés que les déchets des habitants mais pas ceux globaux de la production humaine pour un pays (industrie, construction…). Le site notre-environnement.gouv.fr du commissariat général au développement durable du gouvernement français donne à la question “Combien de déchets produisons-nous par an ?”, la réponse suivante : “En 2018, 343 millions de tonnes de déchets ont été produites, soit une augmentation de 6,4 % par rapport à 2016. Avec 5,1 tonnes par habitant en 2018, la France se situe dans la moyenne européenne. Le secteur de la construction est à l’origine de 70 % des déchets, les ménages en produisent 9 %.“. C’est vraiment beaucoup, d’autant plus que l’on peine encore à recycler une grande proportions de nos déchets (voir les données Eurostat Waste sur les taux de recyclage des déchets d'emballage).
Quel rapport entre les déchets et les musées me direz-vous ? La nouvelle définition du musée de l’ICOM, adoptée à Prague en août 2022, souligne que les musées doivent encourager la durabilité. Donc, les musées devraient se pencher sur la question des déchets et des rejets (parfois invisibles ou non identifiés).
Présentée du 14 septembre 2022 au 8 janvier 2023 au musée Tinguely de Bâle (Suisse), la fascinante exposition collective “Territories of Waste - Le retour du rejeté” est consacrée à cette thématique (Commissaire de l'exposition : Dr. Sandra Beate Reimann). Dans la présentation de l’exposition, le musée rappelle que :
“Dès les années 1960, les artistes du Nouveau Réalisme et du Junk Art (dont Jean Tinguely) ont recouru aux rebuts et à la ferraille pour refléter à travers leurs œuvres le passage socio-économique fondamental de la pénurie à une société de consommation et du tout-jetable. Alors que les monceaux de déchets provenant de décharges débordantes, et négligemment abandonnés dans la nature, sont devenus partout visibles dans les années 1960, ils sont aujourd’hui pour l’essentiel invisibles dans les régions occidentales du monde globalisé.” (musée Tinguely)
Si nous ne voyons plus les déchets et les rebuts, ce n’est pas parce qu’ils ont disparus.
“Trié, transporté, incinéré, traité, composté, recyclé, déposé dans des mines et exporté, le rebut n’a pas disparu, mais il n’est plus là….
Les pratiques artistiques et discours contemporains interrogent les conditions écologiques, géologiques et mondiales dissimulées et réprimées de notre consommation.” (musée Tinguely)
L’exposition est accompagnée d’un catalogue que vous pouvez acheter en version papier ou télécharger gratuitement en version numérique.
Et si vous n’envisagez pas de vous rendre à Bâle dans les prochains mois, TWIST a fait le voyage pour vous. Émission culturelle hebdomadaire d’Arte, TWIST “se confronte à toutes les formes d’art pour susciter le débat et sortir des sentiers battus”. Chaque émission de TWIST se déroule dans une métropole européenne autour d’une question liée à l’actualité. Celle du 23 octobre 2022 conduite par la journaliste indépendante Romy Straßenburg se déroulait à Bâle et son thème était “Quand les déchets entrent au musée”.
L’émission débute dans l’exposition Territories of Waste, puis va à la rencontre de 3 artistes : Otobong Nkanga (artiste nigériane vivant à Anvers qui a effectué un travail autour de l’effroyable mine de Tsumeb), Diana Lelonek (artiste polonaise qui collecte des objets abandonnés dans la nature, objets où se sont installées des formes de vie végétale) et Rafael Kouto (styliste Suisse qui crée des pièces à partir de vêtements et d’éléments mis au rebut). Puis, Romy Straßenburg suit le parcours audio-guidé "Times of Waste" qui emmène ses auditeurs sur les traces des déchets du port de Bâle. Enfin, elle termine son voyage par une discussion avec deux militants du collectif Countdown 2030. Ce collectif, qui lutte contre processus extrêmement polluant qu’est la démolition de bâtiments, a été à l’initiative de l’exposition "Die Schweiz: Der Abriss" (La Suisse : la démolition), présentée au Musée suisse d’architecture du 3 septembre au 23 octobre 2022.
Bref, vous l’avez compris Muzeodrome vous recommande chaudement de visionner ce numéro de TWIST (visible sur le site web d’Arte jusqu’au 22 octobre 2023). Et si vous en voulez plus, le TWIST du 2 octobre 2022 toujours présentée par Romy Straßenburg se déroulait à Zagreb et avait pour sujet '“Attention fragile : l'art dans un monde précaire”.
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Sortir de la course 🏃
L’expression anglophone rat race met en évidence la compétition acharnée à laquelle se livre les individus et les organisations pour atteindre des objectifs de réussite professionnelle.
“L’expression en est venue à prendre la connotation d’une course sans fin, auto-destructrice ou inutile. C'est une forme de précipitation et de « fuite en avant ». Elle est fondée sur l'image d'un rat de laboratoire essayant de s'échapper en parcourant un labyrinthe ou une roue”. (Wikipédia)
Dans cette course cruelle, la croissance et l’accélération sont des piliers centraux. La rat race est aussi effective du côté des musées, particulièrement au niveau de la production et de la diffusion de leur contenus en ligne. La sobriété éditoriale et les actions sur le temps long sont deux réponses au déversement continu de contenus dans les espaces numériques en ligne. C’est que confirme le rapport “Cultural Content Report 2022” publié en octobre 2022 par One Further, une agence londonienne de stratégie de contenu spécialisée dans le secteur des arts et de la culture. 169 organisations du monde entier ont participé à l'enquête qui a servi de base à ce rapport.
Une synthèse du rapport, rédigée par Georgina Brooke, a été publiée dans “Cultural Content”, l’infolettre de One Further. Cette synthèse souligne tout d’abord le manque de temps dans la journée pour les équipes qui s’occupent de la production des contenus numériques des musées. Elle indique aussi que les membres de ces équipes sont dans un goulot d'étranglement et que l'expertise numérique est trop éparpillée.
En conclusion, la synthèse présente “5 recommandations pour un contenu réussi” - des recommandations qui tiennent à la fois du bon sens et de l’application d’une stratégie numérique efficace:
+ Créez un contenu étroitement aligné sur l'objectif et la stratégie globale de votre organisation. Soyez clair à ce sujet.
+ Réfléchissez aux activités auxquelles vous pourriez renoncer pour vous concentrer sur les types de contenu et les canaux les plus efficaces.
+ Utilisez des listes de contrôle et des processus légers pour vous assurer que le contenu reste accessible, trouvable et adapté à son objectif.
+ Continuez à investir dans le succès à long terme. Qu'il s'agisse de contenu évolutif, de ressources réutilisables ou de compétences transférables.
+ Utilisez les données, mais ne les compliquez pas trop. Sachez ce qui est populaire auprès de votre public, ce qu'il partage et ce qui incite les gens à agir.
Le rapport “Cultural Content Report 2022“ (en anglais) est à télécharger par là :
https://onefurther.com/cultural-content-report-2022
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La vie au cimetière 🪦
“Je me reposerai quand je serai mort.“ Il est courant d’entendre les hyper-actifs prononcer cette phrase. Les lieux de repos des morts sont pourtant parfois plein de vie. Saviez-vous par exemple que des renards vivent aujourd’hui en plein Paris, dans son plus célèbre cimetière ?
”Un soir d’avril 2020, en pleine pandémie, [Benoît Gallot] fait une rencontre insolite : une boule de poils rousse s’échappe d’un buisson.
Quand son emploi du temps le lui permet, Benoît Gallot explore les nombreux espaces du cimetière du Père Lachaise, dont il est le conservateur. Il photographie la vie du lieu, particulièrement les nombreuses espèces animales qui l’habitent : chats, oiseaux, rapaces, fouines et aussi renards. Il présente ces explorations photographiques dans le compte Instagram @la_vie_au_cimetiere.
Dans un reportage pour Brut, il révèle la source de cette diversité animale :
”Depuis plusieurs années, on a arrêté les produits phytosanitaires, donc on encourage la pousse spontanée des végétaux… ça amène du coup beaucoup d'insectes et beaucoup de fleurs sauvages qui sont nécessaires pour que certains animaux puissent vivre au Père-Lachaise.” Benoît Gallot
Dans “La Vie secrète d’un cimetière”, publié fin octobre 2022 par les Éditions Les Arènes, le conservateur raconte “le quotidien tour à tour insolite, poignant ou étonnant” du Père Lachaise en mettant en lumière ses travailleurs de l’ombre (gardiens, fossoyeurs, cantonniers…).
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Le retour du Défenseur du Temps ⌛
Le titre de cette notule n’est pas celui d’un film états-uniens de super-héros. Mais remontons le temps pour mieux comprendre. Depuis le début des années 1960, l’artiste Jacques Monestier fait “revivre l’art ancien des automates en de véritables sculptures animées, utilisant les techniques les plus modernes”. A l’automne 1979, une de ses œuvres principales, une horloge monumentale à automates nommée “Le Défenseur du temps”, est installée sur une des façades d’un nouvel ensemble d’immeuble construit par l'architecte Jean-Claude Bernard. Cet ensemble d’immeuble, situé au cœur de Paris, juste à côté du Centre Georges-Pompidou (inauguré lui moins de 3 ans plus tôt), prendra pour nom Quartier de l’Horloge.
Voici comment cette horloge singulière en laiton aux personnages actionnés par des vérins pneumatiques est présentée dans le site de l’artiste :
“Le Défenseur du Temps lutte victorieusement contre les trois animaux qui l’entourent : Le crabe, le dragon et l’oiseau, symbolisant la mer, la terre et le ciel. A chaque heure du jour (entre 9 heures et 22 heures), l’homme est attaqué par l’un des trois animaux, choisi par un programmateur de hasard. A 12 heures, 18 heures et 22 heures, il est attaqué par les trois animaux à la fois. Quelques instants avant l’heure, les trois coups annoncent le spectacle. Un tambour en bronze sonne l’heure. Le déferlement des vagues de la mer, le grondement terrestre ou le souffle du vent accompagne le combat choisi.”
En 1995, l'horloge a été restaurée et mise à jour technologiquement. Malheureusement 8 ans plus tard, le 1er juillet 2003, elle est arrêtée faute de financement. A partir de ce jour, l’automate était “resté paralysé, abandonné progressivement à une colonie de pigeons et à l'érosion”.
Ces derniers mois l’horloge a été restaurée à l’initiative de l’artiste Cyprien Gaillard qui a souhaité ressortir de l’oubli cette œuvre d’art public qui le fascinait dans ses jeunes années. Du 19 octobre 2022 au 8 janvier 2023, l’horloge réactivée est présentée à Lafayette Anticipations (Paris) dans le cadre du projet HUMPTY\DUMPTY (un projet de Cyprien Gaillard aussi déployé au Palais de Tokyo). Extrait du communiqué de presse :
“C’est autour d’une réflexion sur le temps, ses traces, ses effets, et les relations que l’humain noue avec lui, que l’artiste imagine cette proposition. Inspiré par l’époque, alors que Paris restaure frénétiquement ses monuments les plus prestigieux et en efface les marques d’usure en préparation des Jeux Olympiques, Gaillard révèle comment la ville constitue un terrain privilégié d’expression de l'entropie (de la dégradation, du désordre et de l’imprévisible), et comment, en retour, l’humain tend à lutter contre cet état.”
Maintenant, que le temps a retrouvé son défenseur, rassurez-moi tout va bien rentrer dans l’ordre ?
Note : Le Défenseur du temps sera réinstallé à son emplacement d’origine dans le quartier de l’horloge au début de l’année 2023.
/via un tweet de @tmtdbs
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Lu, vu, entendu ⚡
Vous les avez peut-être ratées, Muzeodrome a compilé ces informations et ressources pour vous :
Numériques | "Nous augmentons notre audience numérique, sans en perdre, et nous réalisons donc qu'il nous faut augmenter notre capacité hors site et en ligne", Glenn Lowry directeur du MoMA. Le 1er octobre 2022, la version en ligne du Wall Street Journal a publié un article de Kelly Crow qui montre à quel point les numériques sont devenus un enjeux pour les plus gros musées états-uniens - titre de l’article “$70 Million in Art at MoMA to Be Sold to Extend Museum’s Digital Reach“.
Culture Libre | A la suite de la publication du premier rapport sur l’open content culturel en France intitulé « L’open content dans les institutions culturelles en France – État des lieux des pratiques numériques et d’ouverture de contenus des institutions culturelles » (rapport réalisé par l’agence Phare pour le compte et en partenariat avec Wikimédia France - disponible ici), Wikimédia France a lancé fin octobre 2022 un appel à candidatures pour le Label Culture Libre, premier label dédié aux institutions culturelles qui intègrent l’open content dans leurs pratiques numériques.
Bandes dessinées | Anthropocène Muséum est un projet étrange qui sera publié par les éditions exemplaire en juin 2023 - pour l’instant il fait l’objet d’un financement participatif (jusqu’à la mi-octobre 2022). En janvier 2022, Maxime Morin (Wikihow Museum) et Lorrain Oiseau se mettent à réaliser des bandes dessinées ensemble…. “Leurs univers respectifs, déjà fort similaires, entrent en mutation, et, bientôt, fusionnent – c’est la naissance d’un nouveau monde.” Ce nouveau monde c’est l’Anthropocène Muséum. Un ouvrage à l’humour spécial à deux niveau de narration - le second imagine “ce qu’il se passerait si une équipe de scientifiques, de conservateurs – pour le dire d’un mot, d’experts – tombait sur les vestiges de notre civilisation dans plusieurs siècles, et décidait de les conserver et de les exposer dans un musée”.
Photographie | Début novembre 2022, parution aux MkF éditions de “Prendre des photos au musée ?” - Extrait de la présentation de l’ouvrage de Sébastien Appiotti > “Si la pratique photographique au musée n’est pas nouvelle, les appareils photo numériques puis les smartphones ont considérablement modifié le rapport à l’exposition. Certaines institutions s’en sont inquiétées, d’autres encouragent au contraire explicitement les pratiques photographiques des visiteurs.”. Je reviendrais sur cet ouvrage dans un prochain numéro de l’infolettre.
Les 3 ans Muzeodrome | Publié le vendredi 4 novembre 2022, le prochain numéro de l’infolettre Muzeodrome (le 118) sera celui de ses trois ans 🎂🎂🎂. Dans celui-ci, je vous laisse la parole - direction ce formulaire avec quelques petites questions… > https://tally.so/r/3X5Lad
J’effectuerais une sélection dans vos réponses - cette sélection formera le contenu du numéro anniversaire. A vos claviers…
⚠️ Attention, vos réponses sont attendues au plus tard le jeudi 3 novembre 2022 à minuit.
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Voila, c’est déjà la fin de ce numéro 117 - Merci pour votre attention
La suite au prochain numéro - à tout soudain,
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Je suis Omer Pesquer. Spécialiste des (autres) numériques, j'accompagne les organisations culturelles pour stimuler et prolonger leurs rencontres avec leurs publics.
P.S.1: Merci à @dr_kouk pour sa relecture de ce numéro.
P.S.2 : Le titre de ce numéro est un hommage à une fabuleuse chanson d’Alain Bashung (paroles de Serge Gainbourg + Alain Bashung) > “C'est comment qu’on freine” - premier titre de Play blessures, le quatrième album studio de l’artiste paru en 1982.