Salut à tou·te·s,
Bienvenue dans Muzeodrome, l’infolettre inspirante qui vous plonge [même l’été] dans la créativité des musées et des espaces d’expositions. Cette semaine, je vous propose de débuter par le bicentenaire de la naissance d’un écrivain français né à Rouen le 12 décembre 1821 :
👀 Illustration : Ada Hop (d’après une photo de la statue de Gustave Flaubert qui est érigée à Trouville, sous laquelle on peut lire la mention suivante “Ses émotions sentimentales et esthétiques les plus vives furent trouvillaises“).
1) Flaubert démultiplié 💡↩️
“L’artiste doit tout élever, il est comme une pompe, il a en lui un grand tuyau qui descend aux entrailles des choses, dans les couches profondes, il aspire et fait jaillir au soleil en gerbes géantes ce qui était plat sous terre et ce qu’on ne voyait pas.”
Gustave Flaubert (1821-1880)
Du 17 avril 2021 au mois de juin 2022, la Normandie fête le bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert avec de très nombreux rendez-vous et projets labellisés “Flaubert 21”. Parmi ces projets étendant l’univers flaubertien, on peut noter plusieurs expositions : “Salammbô : Fureur! Passion! Eléphants!” au Musée des Beaux-Arts de Rouen (voir notule 2), “Madame rêve en Bovary“ à la maison Marrou aussi à Rouen ainsi que la série d’expositions « Déjouer Flaubert » organisée par le FRAC Normandie (“ces expositions, conçues à partir d’œuvres de la collection du Frac, invitent à revisiter les grands thèmes qui jalonnent les romans du célèbre auteur”).
Ce programme, qui invite à l’exploration et à la découverte, se déploie aussi en ligne :
La série inédite de podcasts “Le secret des héroïnes de Flaubert” réalisée par Martin Quenehen. Constituée de 5 épisodes de 25 minutes, cette série, racontée par Denis Podalydès et Anne-Lise Heimburger, explore “l’univers des relations de Flaubert et des femmes de sa vie, réelles ou fictives à travers des objets des collections des musées”. (Chaque épisode évoque une ou deux de ces femmes en explorant les collections d’un musée rouennais : “Élisa et Madame Arnoux au Musée Flaubert”, “Kuchuk et Salammbô au Musée des Antiquités”…)
Le projet BOWARY porté par l’association “Baraques Walden”. Les 10 membres de la bande de bowaristes (Julia Kerninon, Arno Bertina, Emmanuel Renart, Laure Limongi, Fabrice Chillet, Agnès Maupré, Frédéric Ciriez, Fred Duval, Maylis De Kerangal, Vincent Message) revendiquent “BOWARY, C’EST «NOUS»“. Principe de ce projet autour du roman “Madame Bovary“ : “Chaque autrice, chaque auteur aura pour mission de réduire une partie du roman en 28 tweets de 280 caractères chacun·e. Il ou elle twittera ensuite pendant 28 jours consécutifs…”. La production finale sera une version de “Madame Bovary“ concentrée en 280 tweets. Débuté le 29 janvier 2021, ce projet est à suivre jusqu’au 6 novembre 2021 dans les réseaux socionumériques : Twitter (et aussi Facebook et Instagram)…
Qu’aurait pensé Gustave Flaubert de ces projets immatériels - lui qui donnait dans son “Dictionnaire des idées reçues” au terme “innovation” la définition “toujours dangereuse“ ?
Note 1 : A Rouen, la maison de naissance de Gustave Flaubert est aujourd’hui un musée : le Musée Flaubert et d’histoire de la médecine.
Note 2 : Il est regrettable que le site Web flaubert21.fr ne soit pas vraiment adapté à la lecture sur smartphone et aux usages en mobilité (en tous cas au moment où j’écris ces lignes).
2) Mme Salammbô & M. Druillet 👩👨
”C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar. Les soldats qu'il avait commandés en Sicile se donnaient un grand festin pour célébrer le jour anniversaire de la bataille d'Eryx….”
Ainsi débute “Salammbô” le magnifique roman “historique” de Gustave Flaubert paru en novembre 1862.
Le Musée des Beaux-Arts de Rouen présente du 19 mai au 19 septembre 2021 la somptueuse exposition “Salammbô : Fureur! Passion! Eléphants!”. Dans la salle 7 de celle-ci sont présentées des planches de l’auteur de bande dessinée Philippe Druillet qui dans le cours des années 1980 a librement transposé le roman de Flaubert dans un univers de Science-Fiction. Cette adaptation devenue aujourd’hui un classique fut publiée sous la forme de trois albums : Salammbô (1980), Carthage (1982) et Mâtho (1986). Dans l’adaptation de Druillet, Mâtho, le chef des mercenaires qui tombe amoureux de Salammbô, la fille du général Hamilcar, n’est autre qu’une incarnation Lone Sloane (le héros fétiche du dessinateur). Dans une vidéo (trop peu visionnée) de la RMM Rouen, Philippe Druillet revient sur son travail pour cette transposition. Il y présente le fameux livre de poche fortement souligné d’où il a extrait la matière à sa création.
Touche à tout et adepte de la démesure, Druillet s’ouvre rapidement aux explorations technologiques pour amplifier la puissance de ses projets. Les albums de la série Salammbô mobilisent des techniques mixtes (photos incrustées) et Mâtho (le troisième album) propose en 1986 une innovation : le recours à l’infographie (pour sa couverture et ses deux dernières pages). Pour cela Druillet travaille à l’époque avec la jeune société spécialisée “Technology Artwork“ qui a développé une technologie permettant le traitement électronique et analogique des images pour obtenir des effets et des textures en haute résolution.
« Je ne crois pas que Flaubert se sente trahi si j’éclaire un peu le visage de Salammbô avec un rayon laser, car j’aime passionnément ce livre sublime. »
Philippe Druillet, 1980
(citation piochée dans le dossier pédagogique de l’exposition Salammbô)
En 1993, Druillet poursuit son travail autour de l’œuvre de Flaubert. Il présente à la Géode - Cité des Sciences le spectacle multimédia “La Bataille de Salammbô”. La promesse à l’époque est déjà l’immersion. Il reste très peu de témoignages de ses représentations. Disposant d’un petit nombre d’informations, la chercheuse spécialiste de Flaubert, Bruna Donatelli, a essayé d’imaginer par déduction ce que pouvait être ce spectacle accompagné de musiques de Prokofiev :
“Il s’agit d’une installation composée d’un nombre non précisé de diapos, tirées des planches de la BD et concernant la bataille de Macar, confiées à cinquante-trois projecteurs, qui s’alternent à des images de synthèse (elles aussi créées des planches du même épisode), auxquelles l’artiste ajoute des faisceaux laser avec l’intention de redoubler l’effet criard de ses délires géométriques.“ Bruna Donatelli
Philippe Druillet fut un des tous premiers auteurs de bande dessinée à explorer les images de synthése et l’immersion. En l’an 2000, la Cathédrale d'Images aux Baux de Provence propose le “Vaisseau Fantastique” un grand spectacle multimédia avec effets spéciaux autour de ses oeuvres.
“En premier lieu, les visiteurs traversent le Tunnel du temps: à leur passage, ils déclenchent l'apparition d'images et de vidéos, tandis que les accompagnent des personnages projetés sur des voiles et des cerfs-volants flottant en l'air. Passés le seuil de la grande salle, les voilà au cœur du Vaisseau fantastique. Dans cette nef, plus de 3·000 images de 7 à 15 mètres de haut se succèdent sur les 4·000 m2 d'écrans de calcaire. De Lone Sloane à Salammbô, l’œuvre de Druillet y est revisitée avec toute la démesure qui lui convient.”
Extrait de l’article de Bruno Icher “Calcaire hurlant“ publié le 20 juin 2000 dans Libération
C’est le directeur artistique Gianfranco Lannuzzi qui s’occupe de mettre en scène le “Vaisseau Fantastique”. Un nom qui vous dit peut-être quelque chose. Celui-ci est associé aux succès des expositions immersives proposées par Culturespaces (aux Carrières de Lumières -Baux de Provence-, à l’Atelier des Lumières -Paris-, aux Bassins de Lumières -Bordeaux-…).
Comme je le souligne souvent, les innovations héritent de toute une histoire, et cette histoire est souvent plus longue et plus tortueuse que ce que l’on pourrait imaginer.
Note 1 : En 2017, les éditions Marie Barbier ont publié “Flaubert Druillet – Une rencontre” (entretiens, croquis, photos…) - un ouvrage qui permet de creuser les coulisses de la création de la série. Pour la petite histoire, c’est grâce à Jean-Baptiste Barbier (Galerie Barbier) que j’ai eu le plaisir de travailler avec Philippe Druillet au milieu des années 2000 (pour finaliser la mise en ligne de son site web et compléter les fonctionnalité de celui-ci). Admirateur de son travail depuis que j’étais adolescent, ce fut un grand moment que de côtoyer ce grand personnage dans tous les sens du mot.
Note 2 : Si vous ne connaissez pas du tout Philippe Druillet, je vous recommande de visionner le portrait de l’artiste réalisé par Tracks en 2014 - et dans le cas contraire d’écouter l’emmision Mauvais Genre (France Culture) : “Dans l'antre du voyant : visite à l'atelier de Philippe Druillet“.
Note 3 : Le titre de ce numéro est un fragment du texte de Salammbô. Il fait aussi référence à Lone Sloane, le héros de Philippe Druillet aux yeux rouges.
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A tout soudain,
Omer Pesquer { https://omer.mobi/ }
Ps : Merci à @dr_kouk pour sa relecture de ce numéro et des précédents.