Salut à tou·te·s,
Bienvenue dans Muzeodrome, l’infolettre inspirante qui vous plonge dans la créativité des musées et des espaces d’expositions.
A partir de ce numéro et pendant toute la période estivale, l’infolettre Muzeodrome continuera ses publications mais dans une formule plus légère qui parfois expérimentera d’autres formats. C’est le cas avec ce numéro constitué d’un seul article.
👀 Illustration : Ada Hop (d’après plusieurs photos du Micral N).
1) Un petit français avec un 8008 👨🇫🇷⭐️
Pour glisser vers d’autres numériques, il est important d’explorer l’héritage informatique du XXe siècle. Si je vous pose la question : “Quel est le nom du premier micro-ordinateur et qui l’a conçu ?”. Il est probable pour beaucoup d’entre vous la réponse ne soit pas évidente. Certain·e·s penseront à l’IBM PC (1981), quelques-un·e·s au PET de Commodore (1977) et d’autres au premier ordinateur construit par Apple (1976).
“Petit, petit, petit / Tout est mini dans notre vie“. En 1966, Jacques Dutronc chante un texte de Jacques Lanzmann. Texte qui accompagne la miniaturisation des objets. C’est l’époque des mini-ordinateurs, grands comme des armoires. Au début des années 1970, tout devient encore plus petit. On passe du mini au micro avec la commercialisation du premier microprocesseur : le 4004 d’Intel conçu par Marcian Hoff et Federico Faggin. L’année suivante, en 1972, le même fabricant produit le 8008, le premier microprocesseur 8 bits.
En juin 1972, “Alain Perrier, chercheur dans un laboratoire de bioclimatologie de l'INRA [Institut national de la recherche agronomique], imagine un procédé pour mesurer l'évapotranspiration des sols afin de piloter l'irrigation des plantes cultivées. Son idée est d'évaluer le taux d'humidité d'un terrain à l'aide de capteurs situés dans l'air ambiant. Il a besoin d'un ordinateur pour effectuer les mesures…” (Wikipédia). Pour répondre au cahier des charges, cette machine doit être bien meilleur marché que les mini-ordinateurs existants, elle doit aussi pouvoir être implantée au milieu des champs (c’est-à-dire être à la fois autonome grâce à une batterie et aussi assez robuste pour supporter les conditions météorologiques externes).
Dirigé par André Truong, le bureau d’étude R2E (Réalisations et Études Électroniques) emporte l’appel d’offre en proposant une machine de taille raisonnable pour un prix très bas pour l’époque. L’informaticien François Gernelle, alors âgé de 27 ans, pilote la petite équipe projet qui travaille sans compter ses heures autour du 8008 d’Intel dans une cave de Châtenay-Malabry. Fin décembre 1972, le prototype est finalisé. François Gernelle nomme la machine "Micral", un mot qui signifie "petit" en argot. Et il appelle ce nouveau type de machine basé sur un microprocesseur un "micro-ordinateur“. Ce mot “a cependant été refusé lors du dépôt de brevet, toute innovation devant être décrite, paradoxalement, avec des mots existants” (Source : Musée des Confluences).
Après la commande de l’INRIA, le Micral est commercialisé à partir d'avril 1973 et vendu sous l’appellation Micral N à plus d'un millier d'exemplaires. Fort de ce succès, la société R2E part alors à la conquête des États-Unis, mais de l’autre côté de l’Atlantique elle n’arrive pas à rencontrer beaucoup d’acheteurs pour sa machine innovante. Toutefois le Micral N inspire probablement d’autres constructeurs. En 1974, MITS conçoit l’Altair 8800. La machine s’affiche en Janvier 1975 en couverture du magazine Popular Electronics. Deux jeunes amateurs d’informatique découvrent alors ce “projet de mini-ordinateur le plus puissant jamais présenté pour moins de 400 $”. Ces deux jeunes, qui se nomment Bill Gates (19 ans) et Paul Allen (22 ans), proposent à MITS un langage pour que la machine soit facile à programmer. Développé en seulement trente jours, l’Altair BASIC fut à la base de la création de Microsoft.
Comme je vous l’indiquais plus haut, le premier micro-ordinateur serait donc français. Mais pas pour tout le monde ! Car les critères d’analyse de ce qu’est un micro-ordinateur ne sont pas partagés par tous :
Le Micral N (1973) conçu par François Gernelle serait le premier ordinateur commercial monté utilisant un microprocesseur.
Le premier ordinateur personnel serait le Kenbak-1 (1971) conçu par l’ingénieur états-unien John V. Blankenbaker. Destiné entre autres aux écoles, le Kenbak-1 n’a pas eu de succès commercial (seulement 40 unités de celui-ci auraient été vendues).
Le terminal informatique Datapoint 2200, conçu en 1970 par Computer Terminal Corporation (CTC - Texas, USA), qui détourné de son usage initial par des ingénieux, pouvait être utilisé comme un ordinateur de bureau autonome.
Le premier ordinateur de bureau serait pour certain·e·s la calculatrice programmable “Programma 101” (1965), conçue par l'ingénieur italien Pier Giorgio Perotto pour Olivetti. Cette machine qui pesait tout de même plus de 35 kg a eu un énorme succès (environ 44 000 unités de celle-ci auraient été vendues, principalement aux États-Unis) ! Un succès qui aurait selon le Old Calculator Museum masqué l’existence d’une machine antérieure : la Mathatron introduite sur le marché en 1963 par la société états-unienne Mathatronics.
L’incertitude demeure donc, même si on peut noter dans cette bataille la volonté pour les États-Unis de consolider leur position de pays des pionnier·re·s.
Trois choses sont tout de même certaines :
- les pionnier·re·s des numériques restent trop méconnu·e·s.
- le patrimoine informatique européen (matériel et logiciel) doit être préservé et étudié.
- le manque de musées sur le sujet est flagrant.
Soutenue par l’État et les professionnels du secteur, l’association MO5 est dédiée au patrimoine numérique et sa préservation. Depuis 2003, elle milite pour la création d’un musée national. La collection de l’association MO5 s’est étoffée au fil des années (selon le site web de l’association, elle compte aujourd’hui 20 000 machines et accessoires + 20 000 jeux et logiciels + 20 000 ouvrages et magazines). En ce milieu d’année 2021, MO5 a la possibilité d’acquérir un Micral N (alors qu’il reste très peu d’exemplaires de ce micro-ordinateur historique, à part ceux déjà présents dans les collections de quelques musées dont celui des Arts et Métiers*). Pour ce faire, MO5 a lancé une campagne de financement participatif avec pour objectif de collecter 20·000 euros. En 2017, au château d’Artigny, un Micral N avait été mis à prix aux enchères. A l’époque, MO5 n’avait pu lutter contre l’enchérisseur principal qui gagna l’enchère pour 50·000 euros. Cet enchérisseur n’était autre que Paul Allen (le cofondateur de Microsoft). Celui-ci avait fait l’acquisition du Micral N pour le Living Computers Museum de Seattle (USA) - un musée dont il était le fondateur.
”Avant l’informatique était réservée à des grandes entreprises, cela a descendu l’informatique dans la rue, tout simplement. Parce que c'était pas cher et facile à utiliser.” François Gernelle à propos du Micral dans un reportage de France 3 en juin 2017.
*PS : le Micral N qui figure dans le parcours permanent du Musée des Arts et Métiers a été remis au musée en décembre 2003 par François Gernelle à l'occasion d'un colloque international pour le 30e anniversaire du micro-ordinateur.
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A tout soudain,
Omer Pesquer { https://omer.mobi/ }
Ps : Merci à @dr_kouk pour sa relecture de ce numéro et des précédents.