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Bienvenue dans Muzeodrome, l’infolettre inspirante qui vous plonge dans la créativité des musées et des espaces d’expositions.
Cette semaine, je vous propose un gros numéro très spécial consacré à l’apport des technologies dans les œuvres d’un très célèbre artiste né le 9 juillet 1937 à Bradford au Royaume-Uni. Cet artiste c’est David Hockney.
“Si vous voyez le monde comme étant beau, excitant et mystérieux, comme je pense le faire, alors vous vous sentez tout à fait vivant”.
David Hockney
👀 Illustration : Ada Hop (d’après une photo de Jean-Pierre Gonçalves de Lima “David & Ruby in the Normandy Studio, May 25th 2020”)
1) Un nouvel espoir ⬛☀️
Tous les jours de ce mois de mai 2021, à la tombée de la nuit, les panneaux d'affichages numériques géants de cinq métropoles internationales (Londres, Los Angeles, New York, Tokyo et Séoul) diffusent une courte animation vidéo de David Hockney. Au cœur de cette séquence, la lumière du petit matin qui pousse l’artiste à se lever tôt. “Il s'agit de la scène que Hockney observait quotidiennement depuis la fenêtre de sa cuisine en Normandie pendant la pandémie de Covid-19. La vidéo commence dans l'obscurité et capte progressivement l'intensification des couleurs de l'environnement naturel” précise la fondation David Hockney. Le lever de soleil réalisé par l’artiste avec sa tablette numérique se termine par un message sur un fond jaune saturé : “Rappelez-vous que vous ne pouvez pas regarder le soleil ou la mort pendant très longtemps...”. A l’origine du projet, CIRCA explique que “le lever de soleil animé de Hockney cherche à offrir un symbole d'espoir et de collaboration alors que le monde se réveille de son enfermement”. Un message d’espoir dont le monde a besoin, même si sa diffusion sur ce type d’écran géant pose question (surtout quand on voit celle-ci sur les 70 écrans de Times Square à New York).
2) Au bout du Fax 📠📄
David Hockney a beaucoup expérimenté tout au long de son existence. Le fait qu’il ait vécu une partie de sa vie en Californie l’a amené à côtoyer les nouvelles technologies à leur source. Il a commencé à explorer ces technologies de façon créative dés le milieu des années 80, avec la photocopie couleur dès 1986 et le fax dès 1988. Aujourd’hui les fax (ou télécopieurs) ont presque tous disparu en occident, mais dans les années 1980 et 1990, ils étaient présents dans toutes les entreprises et même chez les particuliers.
À la fin des années 1980 et au début des années 1990, Hockney a envoyé des "fax artistiques" à ses amis, qualifiant à l'époque le fax de "machine merveilleuse, d'ennemi du totalitarisme, de retour des lettres manuscrites".
Lorena Muñoz Alonso - Artnet (18 septembre 2014)
Comme l’indique le Met Museum, l’artiste adapte alors sa technique de dessin aux spécificités de la machine. Les créations qu’il envoie par ce moyen de transmission dépasse souvent la feuille (parfois un dessin tient sur seize feuilles ou plus). Dans ce cas il envoie un plan de montage au destinataire pour assembler les images. La grande année du fax pour David Hockney fut l’année 1989, comme le rapporte la fondation David Hockney. Cette année-là, il participe à la Biennale de São Paulo par fax (non sans difficulté, les lignes téléphoniques du Brésil refusant de recevoir ses fax). L'utilisation de l'impression à distance pour créer des œuvres d'art originales marque alors les esprits. La même année, il lance le projet Tennis :
“En fin d'année, un autre projet de fax épique est réalisé, cette fois au cours d'une soirée organisée par Jonathan Silver à Salts Mill à Saltaire (Yorkshire - UK). Tennis est composé de 144 feuilles envoyées par Hockney de Los Angeles à quatre télécopieurs dans l'espace de la galerie, pour être collées à la bombe sous forme de grille sur le mur selon des instructions envoyées au préalable.” fondation David Hockney
3) Dessins informatiques 🖥️🌺
“Je m'intéresse à toutes sortes d'images, quelle que soit la manière dont elles sont réalisées, avec des appareils photo, des pinceaux, des ordinateurs, n'importe quoi.”
David Hockney
David Hockney s’est rapidement saisi de l’ordinateur en mobilisant sa créativité et son langage graphique. Durant l'été 1990, il teste un micro-ordinateur équipé d’un logiciel d’infographie lors d’une conférence dans la Silicon Valley (ce logiciel était probablement une des toutes premières versions de Photoshop). A la suite de cette conférence, l’artiste achète un Macintosh IIfx, un des micro-ordinateurs le plus puissant de l’époque. Avec cette machine, il dessine et imprime ses créations sur une imprimante laser couleur. En assemblant ses impressions, il constitue alors des livres qu’il offre à ses amis. Un de ses ouvrages, conçu initialement en 1991, a été réédité par la gallerie Goldmark en janvier 2020. Mais ce n’était pas la première expérience de David Hockney avec le dessin informatique. En 1987, il était invité par la BBC 2 pour tester avec cinq autres artistes le Quantel Paintbox Graphics System utilisé par la chaine de télévision britannique depuis quelques mois (pour ses cartes météos, graphiques et séquences titres). Ces expérimentations d’artistes feront l’objet d’une série documentaire réalisée par David Goldsmith : “Painting with Light”. Bien avant les dessins sur tablette, cette émission montrait l’évolution d’un dessin informatique du début à la fin.
“Il y a quelques mois nous avons présenté la Paintbox à David Hockney, le premier artiste sérieux à tester la machine. Celui-ci a été confronté à un plan de travail parfaitement ordinaire couplé à un stylo électronique […] Hockney a commencé à découvrir que la Paintbox pouvait être plus qu'un outil pour concevoir des graphiques. Il l'a vu comme un nouveau médium qui offrait à l'artiste une nouvelle facilité pour littéralement peindre avec la lumière pour le spectateur”.
4) Avec un stylet et même avec les doigts 📱🖊️
David Hockney commence à dessiner sur un iPhone dés 2007.
“J'ai pris un iPhone et j'ai commencé à dessiner dessus. J’envoyais simplement ces dessins à mes amis, c'était juste des cadeaux pour mes amis. Je dessinais souvent des levers de soleil ou des fleurs.” David Hockney (en 2011 dans l’émission Studio Q de CBC Canada).
En 2010, l’artiste passe à l’iPad. qu’il manipule avec un stylet voir même avec les doigts. “Sur l'iPhone, j'avais tendance à dessiner avec mon pouce. Mais dès que je suis passé à l'iPad, je me suis retrouvé à utiliser tous mes doigts” (David Hockney). Dans sa fameuse Lettre ouverte à la France, écrite en 2020 depuis sa résidence en Normandie, David Hockney parle de son travail avec l’iPad à son amie Ruth Mackenzie : “Avant cela, j’utilisais sur mon iPhone une application, Brushes, que je trouvais d’excellente qualité. Mais les prétendues améliorations apportées en 2015 la rendirent trop sophistiquée, et donc tout simplement inutilisable! Depuis, un mathématicien de Leeds, en Angleterre, en a développé une sur mesure pour moi, plus pratique et grâce à laquelle j’arrive à peindre assez rapidement. Pour un dessinateur, la rapidité est clé, même si certains dessins peuvent me prendre quatre à cinq heures de travail.“ (source Figaro.fr)
On peut en conclure qu’un bon outil doit rester simple et vraiment adapté aux usages de son utilisateur.
5) Après le confinement normand 🌲🌳
En octobre 2018, David Hockney revoit la Tapisserie de Bayeux qui le fascine par sa narration graphique et sa taille (+ de 70 mètres). Quelques mois plus tard, l’artiste quitte la Californie et s’installe en Normandie. C’est à coté de Beuvron-en-Auge, petite commune de moins de 200 habitant·e·s, qu’habite aujourd’hui David Hockney. Et c’est là qu’il a travaillé pendant la crise sanitaire et les confinements. Depuis toujours, Hockney est un grand travailleur de l’art. Il va donc travailler pendant toute l’année 2020 sur un grand projet au fil des saisons, à commencer par le printemps.
“Tandis que le monde s’immobilise, Hockney, réalise sur iPad, en l’espace de quelques semaines, plus de cent images. La technique lui permet une saisie rapide et précise. À la manière des impressionnistes, il capture les effets de lumière et les changements climatiques avec dextérité selon toutefois une palette vive et lumineuse, des compositions en aplats juxtaposés aux accents pop.” (Musée d’Orsay)
Le fruit de ce travail d’une année sera présenté en 2021 dans deux grand musées :
”L'arrivée du printemps, Normandie, 2020”, ensemble de 116 dessins réalisés à l’Ipad puis imprimés, à la Royal Academy of Arts de Londres du 23 mai au 26 septembree 2021. Le musée précise que “chaque œuvre - qui a été imprimée bien plus grande que l'écran sur lequel elle a été créée - permet de voir chaque marque et chaque trait de la main de l'artiste.”
“David Hockney, A Year in Normandie” au Musée d’Orsay à Paris du 13 octobre 2021 au 14 février 2022. Dans une page de son site Web dédiée au projet, le musée donne quelques détails de sa future exposition : “présentée dans la grande galerie du musée de l’Orangerie, A Year in Normandie donnera à voir cette succession des saisons sous la forme d’une frise longue de quatre-vingt mètres, en écho aux Nymphéas de Monet”. Ce travail de David Hockney est évidement aussi un écho à la Tapisserie de Bayeux qui continue de le fasciner.
6) Quel cirque ?! ⭕🎪
Le 11 mai 2021, le maire réélu de Londres, Sadiq Khan, a présenté "#LetsDoLondon", une campagne touristique massive pour relancer l’attractivité de la capitale britannique. Lors de son lancement, le maire de Londres a dévoilé dans Twitter une œuvre David Hockney pour Piccadilly Circus (œuvre fournie gratuitement par l’artiste). Loin d’avoir suscité l’unanimité, celle-ci a causé beaucoup de réactions et détournements en ligne. Je trouve pour ma part que cette œuvre numériquement primitive dynamite le statu quo visuel des espaces urbains. Dans les pages du “New Statesman” la journaliste Elise Bell décrit fort bien l’objet de la discorde : “un signe étrange, plus un gribouillage qu'une peinture. En rose et jaune, on dirait qu'un enfant a été lâché sur Microsoft Paint ; le "s" de "Piccadilly Circus" est tombé à la fin, un ajout oublié à un spectacle absurde“. La journaliste britannique précise par ailleurs qu’il a “quelque chose d'impressionnant dans ce petit dessin idiot qui ressemble à une bouffée d'air frais dans la puanteur du métro”. Toutefois d’autres personnes ont vu dans ce choix une occasion manquée pour soutenir les artistes locaux "en difficulté". C’est le cas de l’artiste Laura Nevill qui a initié #LetsDoLondonBetter, une contre-campagne en ligne dont l’objectif est de mettre en avant “les artistes londoniens actuels qui ont des talents incroyables et des messages importants à faire passer" (lire à ce propos l’article de Max McLean dans Evening Standard). Je conclurai cette notule (et ce numéro) avec quelques mots issus de l’article d’Elise Bell : “L'art public réussi appartient aux artistes suffisamment courageux pour arracher les gens à leur quotidien”.
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A tout soudain,
Omer Pesquer { https://omer.mobi/ }
Ps : Merci à @dr_kouk pour sa relecture de ce numéro et des précédents.