Salut à toutes et tous,
Bienvenue dans Muzeodrome, l’infolettre inspirante qui vous plonge dans la créativité des musées et des espaces d’expositions en établissant des ponts entre le passé, le présent et les futurs.
Ce numéro 112 débute par un entretien avec le ténor des musées français alors que vous êtes maintenant plus de 2800 abonné·e·s à l’infolettre.
Au centre de ce numéro, un accomplissement socio-technique porté par un inventeur pugnace. Accomplissement qui fête en ce mois de juin 2022 ses 25 ans.
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Des visites chantées 🏛️🧍♂️🎵
Grégoire Ichou est à la fois ténor et guide-conférencier. Après un double cursus (d'un côté le chant - de l'autre l’histoire de l’art et la médiation), il effectue sa première visite chantée au Musée du Luxembourg en 2017.
Grégoire, combien de visites chantées ? Combien de conférences-concerts ? Combien de lieux ? Quel bilan tires-tu de ces années ?
Déjà une quinzaine de lieux, environ 150 représentations… Au départ, je ne savais pas si cette proposition allait intéresser. J’ai eu la chance de rencontrer des visiteurs enthousiastes et des professionnels curieux. Ça a été un mélange de chance, de travail, de doutes – le COVID, la précarité –, et de belles surprises.
Comment imagines-tu la suite de ton travail pour atteindre encore plus le concept de "visite totale" (que tu définissais dans ton mémoire de Licence de guide-conférencier) ?
J’aimerais concevoir des visites chantées pour d’autres types d’institutions, comme des bibliothèques. Pourquoi pas collaborer avec un·e interprète LSF pour créer une visite chantée et chansignée !
As-tu déjà été contacté ou as-tu pensé à des interventions dans les espaces numériques des institutions culturelles ?
J’ai fait des vidéos avec le Scribe Accroupi et pour le Théâtre du Châtelet. Mais la voix lyrique nécessite une prise de son professionnelle (ce qui est onéreux pour les institutions) et un des intérêts de mes prestations tient dans le fait de se trouver à quelques mètres d’un chanteur d’opéra. Par ailleurs, j’ai conçu pour la Villa Cavrois le contenu d’une application de visite avec de la musique des années 1930.
Quelle est la proposition la plus folle qu’une institution pourrait te faire ?
Me donner carte blanche pour concevoir plusieurs parcours ; financer la présence de musicien·ne·s pour m’accompagner ; financer des costumes et des boucles d’oreilles en lien avec la visite – rires –. Ou, en parlant de costumes, m’inviter à faire une visite chantée un peu décalée pour le mois des fiertés 2023 !
Aurais-tu une drôle d'anecdote pour les lectrices et lecteurs de Muzeodrome ?
Believe it or not, je me suis fait percer la deuxième oreille récemment, pour pouvoir mettre d’un côté une tasse de thé et de l’autre une madeleine pour mes visites chantées de l’expo Proust au MAHJ et de la Villa du Temps retrouvé à Cabourg !
Pour compléter ce petit entretien et en savoir plus sur le travail de Grégoire Ichou, quelques entretiens très complémentaires publiés en 2022 : avec Corine Charlet (Artosoir), avec Xavier Mauduit ("Fou d'histoire") et avec Philippe Meyer. Et pour suivre ses actualités > son site web, son compte Twitter et son compte Instagram.
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A partager instantanément 📷💻📞💥
Chaque jour des centaines millions de personnes partagent instantanément des photos depuis leurs smartphones dans le web. Cet usage qui semble aujourd’hui aller de soi n’était pourtant pas dans tous les esprits avant le fin du XXe siècle.
Au début des années 1980, Philippe Kahn quitte la France où il enseigne les mathématiques pour tenter sa chance aux États-Unis. Son histoire est pleine de mouvements et de rebondissements (avec des hauts comme le succès des logiciels Borland mais aussi des bas). En 1994, il fonde en Californie, avec sa nouvelle compagne Sonia Lee, une société qui travaille sur des protocoles de synchronisation entre les dispositifs. Quelques années plus tard, le couple attend la naissance d’une petite fille. Ce jour de juin 1997, sa femme lui indique que l’heure est venue et qu’elle doit se rendre en urgence à l’hôpital pour accoucher. Il embarque alors rapidement son ordinateur portable, son téléphone mobile et un des premiers appareils photos numériques. A l’hôpital, Philippe Khan bricole pour finaliser une idée sur laquelle il travaille depuis plusieurs mois…
Le 11 juin 1997 à 14h21, Sophie Lee Khan nait. Quelques minutes plus tard, Philippe Khan tient sa fille avec la main gauche et son appareil photo numérique avec l’autre main. Il appuie sur le déclencheur, le processus est alors lancé. Au travers d’un câble, la photo est envoyée à son ordinateur portable. Puis transitant par le téléphone mobile (qui fonctionne comme un modem sans fil), la photo est chargée dans le serveur web qui est situé au domicile du couple, à 15 km de là. Le lien vers la photo est alors automatiquement partagé par mail aux amis de la famille et à des centaines relations. Philippe Kahn vient de réaliser le premier partage instantané d’une photo numérique (► firstphonephoto.com). Depuis, le “pointer, photographier, partager, instantanément” a changé nos relations sociales.
Bien entendu, Philippe Khan n’était à l’époque pas le seul à travailler sur le concept du photophone mais son invention est surtout liée au partage (en associant un service de diffusion à la captation). Pour des raisons de rapidité et de la faible bande passante des réseaux cellulaires de l’époque, la résolution de la première photographie partagée instantanément dans le web était seulement de 320x240 pixels. Cette faible définition n’a pas empêché celle-ci de rentrer dans l’histoire :
En 2016, Time Magazine l’a désigné comme l'une des 100 photos les plus influentes de tous les temps.
En 2017, le studio Conscious Minds a récréé l'histoire de la célèbre photo sous le forme d’un court-métrage de 4 minutes (raconté en voix off par Philippe Khan).
En 2019, le San Francisco Museum of Modern Art (SFMOMA, USA) l’a présenté comme élément phare de son exposition temporaire “snap+share - transmitting photographs from mail art to social networks” avec à ses cotés dans une vitrine les trois objets technologiques qui on servit à sa captation/diffusion (l’ordinateur portable Toshiba 430CDT, le téléphone à Motorola StarTAC et l’appareil photo numérique Casio QV-10).
Note : avant son départ pour les États-Unis, Philippe Kahn a été le programmeur principal du MICRAL (voir le n°88 de l’infolettre).
/Merci à Pierre Métivier qui a déclenché l’écriture de cette notule
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Écologies du smartphone 📱📴
Publié en mai 2022 par les Éditions Le Bord de l’eau, l’ouvrage Ecologies du smartphone “cherche à dépasser un positivisme technologique béat et un pessimisme techno-critique simpliste”. L’ouvrage est dirigé par une chercheuse et deux chercheurs dont je suis avec intérêt les travaux depuis au moins une dizaine d’année : Laurence Allard (@), Alexandre Monnin (@) et Nicolas Nova (@). J’ai souhaité leur poser par mail trois questions sur cet ouvrage.
Pouvez-vous nous parler de votre ouvrage "Écologies du smartphone" ? A quels enjeux celui-ci répond-t-il
Cet ouvrage, que nous avons coordonné, est un livre-enquête multi-auteur·ices associant chercheur·euses, associatifs, artistes, designer·euses, au sujet de la face sombre des smartphones, leur « ombre « écologique ». Il ambitionne de conceptualiser et documenter ce que le smartphone occasionne en termes d’exploitation de vies humaines, d’extraction de ressources et d’accumulation de déchets mais également de visibiliser les expérimentations de réparation, re-création et de mobilisation en matière d’écologies du smartphone. A rebours des paradigmes de la transition, du développement durable ou du numérique responsable, l’approche d’ensemble est résolument décoloniale et orientée vers l’éco-justice multispécifique, tant le cycle bio-géo-physico-politique du smartphone -de la phase extractive à la phase de mise au rebut - renvoie à des logiques néo-coloniales. Les initiatives et mobilisations décrites dans cet ouvrage manifestent une démarche de décolonialité et d’écologisation de l’économie des usages du smartphone, objet numérique le plus critique au plan de l’empreinte environnementale comme le démontre l’ouvrage.
Comment ces enjeux pourraient être présentés dans le cadre d’une exposition ?
Les enjeux écologiques du smartphone articulent plusieurs disciplines scientifiques, des connaissances et des savoir-faire multiples. L’ouvrage Ecologies du smartphone rassemble ainsi des chercheur·es en physique, philosophie, sociologie aux côtés de juristes, activistes ou architectes. En plus de faire œuvre de pédagogie sur les données géo-bio-physiques au sujet des ressources ou des déchets, il s’agit également de s’interroger conceptuellement sur les mondes du numérique ou encore décrire empiriquement les possibles de l’écologisation des pratiques du smartphone. Faire œuvre de médiation autour de ces enjeux participe donc plus généralement de programmes d’éco-médiation que les lieux culturels peuvent contribuer à mettre en forme. Ateliers, expositions, fresques, débats… tout reste à inventer dans cette perspective d’une médiation des enjeux écologiques du numérique et du smartphone en particulier.
Que pensez-vous de la démarche BYOD (en français « prenez vos appareils personnels ») mise en place par les musées et les institutions culturelles ?
Il est vrai que c'est sans doute utile à certaine·s, mais c'est restrictif pour une partie des publics des musées. La tendance QR Code et applications à tout faire… relève d’une démarche qui peut, dans une certaine mesure, être assimilée à un type de techno-solutionnisme paresseux avec des risques d’exclusion de certains publics. Une technologie de communication comme le smartphone ne constituera rarement un dispositif de médiation en soi. En revanche, il existe une scène de création par les outils mobiles et plus généralement une culture mobile qui se trouve assez peu « exposée ».
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En réduction 📦🖼️
Face au dérèglement climatique et à rebours du toujours plus monumental, les démarches de réduction s’imposent. Printemps 2021, Ann Arbor, Michigan, USA. L’artiste et directeur du programme Arts at Michigan, Joe Levickas se questionne face aux conséquences de la pandémie de COVID-19.
“J'ai dit à ma femme, qui est dans le milieu du théâtre, "Et si on installait une galerie dans notre cour ?" et elle m'a répondu "Tu devrais le faire"“.
Source : le magazine en ligne de l’université du Michigan
Joe Levickas achète alors une boite de 41cm * 25,5cm * 30,5cm dont une des faces est une vitre. Il transforme cette boite en micro-espace d’exposition avec un éclairage ainsi que des murs et des planchers mobiles. Il la peint de la même couleur bleu que sa maison et l’installe dans son jardin. C’est ainsi qu’au printemps 2021 est née la Creal Microgallery.
Temporaires ou permanentes, les galeries de très petites tailles ont des formes diverses. Leur objectif commun est de rendre l'art facilement accessible à tous en le présentant dans des lieux inhabituels. Il existe déjà une guilde et une journée des micro-galeries (initiée par la Gallery Flaneur, celle de 2022 c’est déroulée le 15 avril).
“Les micro-galeries n'ont pas besoin d'un lieu fixe pour être vues, mais celles qui le font sont considérées comme stationnaires ; celles qui ne le font pas sont nomades. Une micro-galerie peut être physique, numérique ou les deux et peut être construite à partir de n'importe quoi.”
Extrait du Manifeste de la Guild of MICRO GALLERIES
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Muzeodrome au SITEM 2022 🔥
Muzeodrome est partenaire de la 26ème édition du SITEM, salon international des musées, des lieux de culture et de tourisme, qui aura lieu les 28, 29 & 30 juin 2022 au Carrousel du Louvre (Paris).
Si vous passez au SITEM 2022, contactez-moi pour une petite discussion… (je serai sur place les trois jours du salon).
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Voila, c’est déjà la fin de ce numéro 112.
Merci pour votre attention, je suis Omer Pesquer, consultant spécialiste des technologies et des usages associés au numérique.
🔍 Mes recherches actuelles explorent les «autres numériques», les «univers culturels étendus», les «passé-présent-futurs des technologies» et les «hasards heureux».
La suite au prochain numéro - à tout soudain,
o m e r
P.S. : Merci à @dr_kouk pour sa relecture.
P.S.2 : Avez-vous vu le nouveau logo de Muzeodrome ? Qu’en pensez-vous ?