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👉 Dans ce numéro135, il est entre autres question de photographie. Je vous propose de débuter celui-ci par une citation issue d’un ouvrage de référence consacré à cet art visuel.
Toutes les photographies du monde formaient un labyrinthe. Je savais qu’au centre de ce labyrinthe, je ne trouverais rien d’autre que cette seule photo, accomplissant le mot de Nietzsche : “un homme labyrinthique ne cherche jamais la vérité, mais uniquement son Ariane…”.
Roland Barthes - in La Chambre claire (note sur la photographie)
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Des publics photographes 📷
Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication au CELSA - Sorbonne Université, Sébastien Appiotti s’intéresse notamment à la conception et la réception de dispositifs de médiation culturelle numérique, aux transformations des institutions culturelles et aux pratiques photographiques du quotidien. Nos routes se sont croisées plusieurs fois. Une des toutes premières, c’était en 2015 quand il m’a questionné pour son mémoire de master. En novembre 2022, Sébastien a publié un ouvrage autour d’une partie de ses recherches. J’ai souhaité lui poser quelque questions à ce sujet.
Sébastien, quel est le propos de "Prendre des photos au musée ?", ton ouvrage publié chez MkF éditions ?
Mon ouvrage répond à une question en apparence simple, mais hautement conflictuelle au sein du musée : pourquoi les publics photographient-ils et depuis quand ? Qu’est-ce qu’un « bon » comportement de visite et comment les pratiques photos au musée transforment les imaginaires de la visite et de la relation aux œuvres ? J’y réponds par une démarche compréhensive de terrain, en ayant passé plusieurs mois auprès des visiteurs dans les expositions (observations de leurs pratiques ; entretiens).
En France, les grandes "batailles" autour de la photo au musée datent de la moitié de la décennie précédente (la charte "Tous photographes" du ministère de la Culture en 2014, les photos de Fleur Pellerin au musée d'Orsay en 2015). Quelle est la situation aujourd'hui ? Des choses ont-elles bougé ?
La situation est en apparence beaucoup plus favorable pour les visiteurs photographes : rares sont aujourd’hui les musées à interdire totalement la pratique photo (cela peut être la volonté de certains artistes, comme David Hockney, ou de prêteurs privés ou publics). J’observe même certaines formes d’incitations au partage photographique sur les réseaux sociaux : cela peut avoir un intérêt dans des dynamiques de prescription à visiter tel musée, telle exposition, etc., même s’il ne faut pas réduire les photos des publics à leur seule valeur communicationnelle.
As-tu une idée des usages post-visites des praticiens de la photo au musée ?
Depuis près de 10 ans que j’enquête sur ce sujet, j’ai été frappé par la variété des usages post-visites de la photo au musée : documentation (photos d’œuvres et de cartels) ; médiation à des proches ; importance du souvenir ou de la carte postale ; intégration de ces images dans la sociabilité quotidienne des visiteurs. Matériellement, cela va des photos qui sont stockées sur un cloud, jusqu’à les imprimer pour faire des albums photo, voire des moments de projection où le visiteur peut se faire médiateur, par exemple pour des proches empêchés (EHPAD, hôpital, etc.)
Penses-tu que de nouveaux dispositifs de captation vont remplacer les smartphones dans les décennies à venir ?
Je ne vois pas de signe actuellement qui indiquerait un essoufflement de la pratique photo par smartphone au sein de la société. De nouveaux dispositifs, comme les lunettes connectées équipées de capteurs photo (proposées par Rayban-Meta ou Snapchat) font pour le moment un flop. Peut-être que le transhumanisme permettra aux visiteurs de photographier directement avec leurs yeux : mais est-ce un futur éthiquement souhaitable ?
Une ressource peu connue à recommander aux lectrices et lecteurs de Muzeodrome ?
Les parutions récentes de MkF éditions en muséologie, qui renouvellent en profondeur le regard que plusieurs chercheurs portent sur le musée, ses collections et ses publics !
Quelques mois avant cet entretien, ma route et celle de Sébastien s’étaient à nouveau croisées. Le 9 juin 2023, lors de l’édition 2023 du Festival de la Muséologie, nous étions les deux intervenants de la table ronde “Le numérique au musée“ modérée par Chang-Ming Peng - les podcasts des tables rondes de ce festival sont disponibles à l’écoute ici.
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Un musée des consoles ? 🕹️
Tout commence pendant l’été 2022, Ludovic Charles dévoile l’exceptionnelle collection qu’il a rassemblée en plus 20 ans - celle de plus de 2·200 pièces de l’histoire du jeu vidéo dont de très nombreuses consoles. Ne parvenant plus vraiment à développer et surtout à préserver celle-ci, il souhaite s’en séparer. Il envisage dans un premier temps de la vendre - pour environ 1 million de dollars.
Prévenu par ses réseaux, le YouTuber Tev - Ici Japon (plus d’un million d’abonné·e·s) discute plusieurs fois avec Ludovic Charles et visite la collection qui s’entasse dans 300 m2. Lors de ces discussions, Tev apprend que le but ultime du collectionneur ne serait pas de vendre les consoles mais de présenter celles-ci dans un musée. Ainsi nait le «Projet Odyssée», celui d’un nouveau musée du jeu vidéo en France (après le MJV qui n’est resté ouvert que pendant 10 jours en 2010 - et le Pixel Museum installé de 2017 à 2020 à Schiltigheim et qui est aujourd’hui basé Bruxelles - voir Muzeodrome n°37).
Pour lancer le «Projet Odyssée», Tev et ses équipes conçoivent une campagne de financement participatif avec différents paliers et cadeaux. Le 20 septembre 2023, l’opération est lancée. Une communication virale irradie la sphère des amateurs de jeux vidéo. Résultat : le premier palier des 50·000 € est atteint en quelques minutes et le troisième palier des 500·000 € en deux jours ! Le 3 octobre, le quatrième palier celui des 1·000·000 € est franchi. Et depuis, les contributions continuent de grimper.
Proche de Disneyland Paris, la ville de Bussy-Saint-Georges en Seine-et-Marne s’implique dans le projet et propose d’intégrer celui-ci à un futur “pôle ludique” situé à l’entrée de la ville : ”Sur une surface de 3500 m² à 7000m² (en fonction des financements obtenus), le musée sera inclus dans un univers japonais composé de plusieurs activités centrées autour de la culture japonaise.”
Au moment où j’écris ces lignes, des questions restent en suspend :
- Le palier ultime des 2 millions d’euros sera t’il atteint avant la fin de la campagne le 5 novembre 2023 ?
- L’ouverture officielle du musée aura-elle bien lieu à Bussy-Saint-Georges en 2026 ? (comme elle est pour l’instant envisagée).
Donner naissance à un musée s’avère bien plus difficile que de finir le parcours labyrinthique d’un jeu vidéo. On espère que Tev et Ludovic Charles seront bien accompagnés pour continuer de mener à bien cet ambitieux projet construit en public. A suivre…
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Le point de vue de ma fenêtre 🪟
Ernesto Timor a tâté de divers métiers de plume, de métal ou de verre avant de se stabiliser à peu près comme travailleur de l’image. Je l’ai croisé au tout début du 21è siècle alors que nous explorions tous les deux, chacun à notre façon, les multiples possibilités de la publication de contenus dans le Web. Aujourd’hui, Ernesto collabore en tant que photographe et graphiste avec diverses structures entre le socio et le culturel. Basé à Lyon et amateur de la bicyclette, il mène aussi ses propres projets polymorphes, plus souvent à l’ombre que dans la lumière.
Ernesto, tu indiques que ton travail "privilégie l’improvisation, la mécanique optique mise au service et au rythme du sujet, explorant un fil entre la distance respectueuse et le choix de bousculer". Peux-tu nous en dire plus ?
J’aime bien avancer à tâtons, en réinventant chaque fois un peu le même thème. Et puis l’optique est un beau dispositif à douter. Enfin la (bonne) distance, je travaille toujours au grand angle mais de moins près qu’avant. Sans bousculer, je tente un genre d’observation active…
Peux-tu présenter ton projet "Le point de vue de ma fenêtre" ?
A t-il un lien avec les confinements provoqués par la COVID-19 ?
Dans un double mouvement, les gens s’offrent au jeu du portrait et m’invitent à regarder par-dessus leur épaule, leur vue de tous les jours, « Oh, c’est comme ça que tu vois les choses ? ». De face ou quasi de dos, très présents ou à la limite de l’effacement, il y a place pour autant de postures que de personnalités. Le covid est arrivé pile quand j’allais débuter le projet, a concrètement beaucoup compliqué les invitations chez les inconnus et même à une époque chez les amis, tout en donnant une résonance de plus à ces images, pouvant donner à certaines un faux air de témoignage de confinement.
Tu as exposé ce projet à Lyon et tu lui réserves un espace important dans ton site Web - comment s'articule la présentation de celui-ci entre espaces physiques d'exposition et sa publication en ligne ?
J’ai toujours aimé les deux types de labyrinthes, ceux de l’accrochage et ceux de la navigation à tiroirs. Dans une saga comme celle-ci (qui compte une soixantaine d’images) on peut montrer plein d’états différents sans trop se répéter. Je suis rarement dans un esprit de best of, plutôt dans une idée de renouveler l’expérience de la visite en fonction des contraintes du lieu, réel ou virtuel.
Tu as adjoint à certaines photos de ce projet des témoignages sonores, qu'apportent-ils ?
Je ne sais pas si je fais là du podcast augmenté ou de la photo qui parle, en tous cas ce bonus sonore allège l’objectif rarement atteint de sortir une image définitive qui dit tout. Cette humanité bavarde a pour moi l’attrait de la nouveauté mais rend aussi le projet plus accessible à ceux que rebuterait la muette contemplation…
Tu sembles échapper à l’urgence provoquée par l'"âge numérique" ? A ce propos, as-tu des réflexions sur les images générées par des IA ?
On ne fera jamais plus artificiellement intelligent que Un titre. Non ?
Un-e ou deux artistes qui t'inspirent aujourd'hui ?
Ceux qui m’inspirent trafiquent plutôt du côté des mots - Olivier Cadiot s’il n’en faut qu’un. Les photographes trop doués me donnent plutôt envie de ne regarder qu’eux et de moi-même renoncer sagement à mon appareil… Allez un nom tout frais quand même, Kourtney Roy, souvent là où on ne l’attend pas, et jusqu’ici parfaite en tout ce qu’elle ose.
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Dans le musée souterrain d’art de New-York 🚇
Lancé en novembre 2019 par Bloomberg Philanthropie dans le cadre de son soutien aux institutions culturelles, l’application gratuite Bloomberg Connect est devenu au fil des années une méga-application.
Cette application de visite est aujourd’hui dotée de nombreuses fonctionnalités partagées (carte des lieux, zoom sur les visuels, extrait de vidéos, etc.) avec un accent fort mis au niveau de son accessibilité (voix off, sous-titrages, transcriptions audio, …). Chaque mois de nouvelles organisations partenaires, états-uniennes mais pas seulement, rejoignent celle-ci (musées, galeries, zoos, jardins…) - elles sont aujourd’hui plus 250 (voir cet article de DesignBoom publié en août 2023). Une des dernières organisations a avoir rejoint Bloomberg Connect est la Metropolitan Transportation Authority (MTA) Arts & Design de New-York - qui annonce :
“Avec cette sortie publique, MTA Arts & Design devient le premier programme d'art de transport en commun au monde à lancer son guide numérique sur l'application Bloomberg Connects. Le guide numérique d’Arts & Design présente plus de 400 œuvres d’art permanentes et temporaires sur une carte interactive. Les clients de MTA pourront se lancer dans des visites autoguidées et explorer du contenu organisé lié au musée souterrain d’art de New York.“
Dans une vidéo, Sandra Bloodworth, directrice du MTA Arts & Design, présente rapidement le guide ainsi que quelques œuvres situées dans les sous-sols de New-York. Un guide qui permet aussi à l’organisation de mettre en avant ses projets temporaires (dont des performances live et des activations d’œuvres d’art numérique).
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Vous les avez peut-être ratées, Muzeodrome a compilé ces informations et ressources pour vous :
Le grand accident du Louvre | “Paris aujourd’hui. La crise du Covid n’a pas eu lieu. Mais une autre crise, localisée au Louvre et appelée par les initiés « Le grand incident », va imposer une fermeture du musée, inédite depuis la seconde guerre mondiale. Sculptures, peintures, toutes les femmes nues dans les œuvres se dérobent au regard des visiteurs car elles ne supportent plus les réflexions, voire les attouchements, dont elles sont victimes au quotidien.” Coédité par Futuropolis et le Musée du Louvre Éditions, « Le grand incident » est un conte « fantasticomique » raconté et dessiné par Zelba. Voir l’entretien dessiné de l’autrice proposé par France inter.
Dans les tunnels de Londres | Les projets d’espaces immersifs sont de plus en plus hors du commun. La journaliste Marie Parra nous apprend dans Sciences et Avenirs que “sous les pieds des londoniens, à 40 mètres de profondeur, se déploie un réseau souterrain gigantesque : le "Kingsway Telephone Exchange". Resté secret pendant plus de 70 ans, il a été le repère des agents secrets durant la Seconde Guerre mondiale et la Guerre Froide”. Ce réseau a été racheté à Bristish Telecom (BT) par un banquier australien pour plus de 250 millions d’euros. L’objectif de l’homme d’affaire est d’en faire une colosalle attraction touristique immersive. Un pari risqué et très couteux car une somme proche de celle de l’achat est nécessaire pour réaliser les travaux du projet. L’ouverture des tunnels prévue en 2027.
Actions contre le régime | “Enraciné dans le punk, l'humour, la poésie et la rage pure, le collectif artistique féministe-activiste Pussy Riot, formé à Moscou en 2011, est célèbre pour ses actions spontanées et courageuses défiant le régime russe”. Du 13 septembre 2023 au 14 janvier 2024, le Louisiana Museum of Modern Art (Humlebæk, Danemark) propose la toute première exposition muséale consacrée au collectif.
Monumentales | Il existe de nombreuses propositions de visites patrimoniales géolocalisées sur smartphone. “Monumentales” est un projet un peu différent car il propose une approche mixte - les parcours de son application web sont complétés par des cartes en papier (voir celle du parcours dans le Cimetière du Père Lachaise) . “Monumentales” en phase de démarrage - n’hésitez pas à contacter l’équipe qui porte le projet.
A la page | Vous êtes maintenant plus 800 à suivre la page LinkedIn de Muzeodrome, mais seulement quelqu’un·e·s à être en connexion avec son compte Mastodon.
Bientôt 4 ans | En novembre 2023, Muzeodrome fêtera ses quatre ans 🎂🎂🎂🎂. Le numéro 137 marquera cet anniversaire. Celui-ci ne sera pas publié un mercredi mais le samedi 4 novembre - jour anniversaire du premier numéro. En attendant, en sous-marin, je vous prépare quelques petites surprises. 🎉🎉🎉🎉
▛
Voila, c’est déjà la fin de ce numéro de l’infolettre - la suite au prochain… Avant de partir, n’oubliez pas de donner votre avis sur ce numéro (au travers d’un commentaire, d’un message et d’un petit appui sur 💜).
à tout soudain,
o m e r
Je suis Omer Pesquer - J'accompagne et conseille les organisations dans leurs redirections vers d'autres numériques : idées - projets & prototypes - formations - stratégies...
P.S.: Merci à Michel Kouklia pour la relecture de ce numéro.
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