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Bienvenue dans muzeodrome, l’infolettre et le site qui vous plongent dans la créativité et les {autres} numériques des musées et des espaces d’expositions en établissant des ponts entre le passé, le présent et les futurs.
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Ceci est la seconde partie du numéro 145 de Muzeodrome. Si vous n’avez pas lu la première partie, elle est par ici. Cette seconde partie accueille principalement un long entretien avec Lucas Reboul et six brèves en lien avec la thématique du numéro: la sobriété numérique.
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Sortir des injonctions contradictoires 🚶🚪
Lucas Reboul est le cofondateur de Kaléo, une société de conception audiovisuelle et interactive fondée en 2003 en Occitanie. Dans cette société, il occupe une place assez transversale (codirection artistique, coordination des aspects techniques…).
Début 2024, Lucas m’a proposé d’intervenir dans un atelier engagé au SITEM (voir la notule “Réfléchir et agir ensemble 🤔💪“ dans la première partie de ce numéro de l’infolettre). Suite à nos échanges (avant, pendant et après cet atelier), je lui ai proposé un entretien dans muzeodrome (entretien bien plus long qu'à l'accoutumée).
Lucas, d'où viens-tu ?
J’ai un parcours académique pluridisciplinaire, en histoire du cinéma et esthétique à l’université Marc Bloch, aux Beaux-arts. J’avais aussi démarré un doctorat inachevé sur les questions de l’image filmée comme dispositif technique.
J’ai toujours conjugué des pratiques audiovisuelles et multimédias. J’ai aussi eu une petite pratique de films expérimentaux, du vidéo art, avant de m’orienter vers la médiation avec des outils numériques.
Un point important, mon père était un hobbyiste de l’informatique, et en même temps, nous vivions dans un préfabriqué en pleine nature, quasiment de façon autonome. Nature et culture dès l’enfance… Du ZX81 à la gestion de l’eau.
Pourquoi as-tu proposé un atelier de réflexions sur le déploiement de l’écoconception et la démarche numérique responsable au SITEM ?
En tant que concepteur numérique dans le secteur culturel, j’observe des injonctions contradictoires. D’une part, une pression pour produire des dispositifs dits innovants de type VR, AR, IA, sans définir le pourquoi. D'autre part, il y a un affichage de la responsabilité des organisations, dans leur communication ou dans les critères des appels d'offres. Mais au-delà, il n’y a parfois aucune démarche concrète. Comment dépasser la dissonance cognitive ?
Au-delà du constat, la question est d’adopter une approche structurée sur la base d'outils, de pratiques, en intégrant les acteurs. Il est nécessaire de questionner la façon dont nous abordons le numérique dans les expositions. Ce que nous apprennent l’écoconception et l’ACV (Analyse du cycle de vie), c’est de ne pas avoir d’a priori sur les résultats ou les solutions. La démarche aide à identifier les impacts, les mesurer et arbitrer les décisions au niveau design, technique, etc.
L’écoconception doit ainsi être envisagée dès les premières étapes d’un projet. Cette démarche ne peut se faire sans que les commanditaires et les institutions acceptent de modifier leurs pratiques. Elle ne peut s’envisager sans une formation de la filière.
L'atelier, avec ton intervention, avait aussi pour vocation de montrer que le numérique est une dimension de l'exposition, qu'il a une histoire qui n'a pas démarré avec la VR ou l'IA. Et aussi qu’il y a des méthodes, des compétences, des leviers d’action pertinents, des référentiels, des bonnes pratiques.
Pourquoi as-tu bifurqué vers d'autres façons de produire et mettre en place des dispositifs numériques ?
On ne peut ignorer les enjeux du changement climatique, l’effondrement de la biodiversité, et les conséquences sociétales de la surexposition aux écrans.
Quel est le poids du numérique ? Et quelle est sa trajectoire ?Dans le secteur muséographique, j’observe une sorte de pression vers la XR (Réalité étendue), qui reste artificiellement soutenue. Des appels à projets dans le domaine artistique favorisent le métavers, la réalité augmentée, les grands espaces immersifs. D’un autre côté, il y a un grand cimetière d’app dans les stores et le sujet de la formation autour de la maintenance, de la réutilisation et du recyclage des équipements est presque inexistant.
En 2022, j’ai été à l´ISE (Integrated Systems Europe) à Barcelone, le plus grand salon européen sur l’intégration audiovisuelle et les systèmes numériques. On pouvait y voir une grande quantité d’écrans et de technologies de l’affichage dynamique qui souhaitent se substituer aux affichages classiques. C’était effrayant. Ces acteurs industriels pèsent sur la définition des futures normes, et leurs obsolescences organisées.
Dans la filière audiovisuelle, il y a un fétichisme du matériel, de la machinerie et du renouvellement des formats. L’effet rebond y est encore plus présent. J’observe des sociétés qui vont pitcher 5 minutes un projet à 20·000 km et aussi dans ma région des projets de grands studios audiovisuels qui vont artificialiser des sols, avec l’aval des institutions.
Dans les ICC (Industries culturelles et créatives), on note une profusion de discours sur les responsabilités du capitalisme. Mais le monde culturel est dans un angle mort, il ne perçoit pas vraiment ses propres externalités négatives. Lors de l’atelier, Christine Debray (directrice de projet sobriété numérique culturelle au ministère de la Culture) rappelait que la culture représente presque 70 % de la bande passante utilisée sur Internet.
Alors, comment est-il possible de bifurquer ?
Dans la muséographie, je suis un maillon au cœur d’une chaîne de décisions qui intègre beaucoup d’acteurs (prescripteurs, sociétés de conseils, programmistes, assistants à maîtrise d'ouvrage, muséographes, scénographes, comités scientifiques, fournisseurs de solutions d’intégration audiovisuelle…). Je ne suis pas seul décisionnaire des formes proposées aux publics. Et ma voix ne porte pas autant que celles des premiers acteurs. Si j’interviens trop tard, je dois corriger des choix déjà effectués, et cette approche de déconstruction est souvent mal perçue.
Il y a un travail de sensibilisation de la filière en amont. Je communique régulièrement avec mes clients et fournisseurs sur ces sujets. Beaucoup de pédagogie est nécessaire pour accompagner les clients inexpérimentés, surtout ceux qui veulent à tout prix déployer une innovation complexe vue quelque part sur Internet.
Et au niveau de ton entreprise, Kaléo ?
Il y a des débats et des interrogations légitimes. J’adopte une stratégie pour la conduite au changement, je repense “que produire” et “comment produire”. Mes équipes suivent des formations (numérique responsable, écoconception, etc.). Nous avons intégré récemment les compétences d’un ergonome cognitif, pour évaluer les interfaces (accessibilité, IHM). Nous avons aussi mis en place des partenariats avec des ESAT pour tester des dispositifs numériques.
Nous suivons une méthode d’écoconception et nous proposons des réponses moins impactantes pour une même fonctionnalité. Sur le plan technique, nous recherchons des solutions numériques dont le déploiement, l’entretien, le réemploi et le recyclage seront plus faciles. On recycle aussi du matériel déjà présent pour les projets (par exemple pour le Parc de la Vanoise). Il y a également tout un volet de recherche et développement (R&D) pour trouver des solutions technologiquement mid-tech et plus durables.
Sur le contenu, nous restons fidèles à une ligne de conduite proche de la médiation. Il n’y a pas de volonté de fidéliser un visiteur à un écran, de le retenir et l’enfermer, de proposer des expériences futiles.
Les pratiques d’une ergonomie inclusive et maîtrisée nous poussent à favoriser certaines technologies, nous préférons l’immersion collective non casquée, les interactions avec des manips, des alternatives low-tech.
Sur quels outils et méthodologies vous appuyez-vous ?
Nous avons formalisé nos engagements avec des formations et des labélisations. En 2020, Kaléo avec Envol, un mini ISO 14001 certifié par le Bureau Véritas. Nous avons élaboré un plan d’actions environnementales, qui couvrent toutes les dimensions de l’activité, du compostage des déchets à l’installation de panneaux solaires.
Solène Laferrière, directrice UX, a été formée en écoconception de services numériques cette même année. Je suis formé en écoconception et initié à l’ACV (Analyse du cycle de vie). En tous, trois personnes sont formées au numérique responsable. Nous mettons en œuvre un plan Numérique Responsable qui couvre toutes les dimensions de l’activité : achat, formation, énergie, entretien, etc. Il est piloté en interne par Margaux, notre ingénieure informatique, et Solène. Honnêtement, c’est un travail considérable. Il est nécessaire de tout mesurer, d’analyser chacun des leviers et de formaliser. Cette démarche s’appuie sur des données objectives, et ce n’est pas de l’auto-déclaration.
En interne, nous menons ainsi des actions d’amélioration continue, par exemple nous avons conçu un logiciel qui supprime les ressources inutiles dans nos applications, pour réduire leurs poids.
Au niveau conception, nous cherchons à améliorer l’aspect fonctionnel, par exemple nous avons réalisé un dispositif AR (réalité augmentée) mais sur la base d’un PC et d’un écran fixé sur un pied articulé au lieu d’une tablette. Les avantages sont nombreux : allongement de la durée de vie, infogérance, évolution du soft. Le dispositif est accessible aux PMR (personnes à mobilité réduite) et règle les limites de la réalité augmentée comme la contrainte ergonomique et la lisibilité. Mais cela a nécessité beaucoup plus de prototypage. Nous proposons aussi des théâtres optiques, qui reposent sur des technologies simples, mais avec un design évolué.
Quelles ont été les réactions des membres de ton entreprise face à ce changement ?
Il n’y a pas eu de changement radical, mais une modification progressive des façons de produire et de pourquoi produire. La démarche exige de la pédagogie et de l’adhésion. Les réactions face aux questions posées du numérique acceptable sont multiples. L’équipe est composée de sensibilités diverses. Le changement passe par des organismes de formations, comme le Green IT.
Certains automatismes doivent venir s’ajouter à des contraintes déjà fortes. Sur l’écoconception, globalement, la démarche est collective. Elle se diffuse plus facilement en interne, mais se heurte aux clients ou maîtres d’œuvre. Elle bouscule les commanditaires et leur demande des arbitrages.
Selon toi, cette démarche devrait-elle être encore plus soutenue par les acteurs publics, dont les musées ?
Les CCTP (cahiers des clauses techniques particulières) des acheteurs publics doivent intégrer des critères d’écoresponsabilité depuis 2004, les textes ne sont pas récents, avec un indice de notation jusqu’à 20 %. Beaucoup de marchés n’intègrent aucun critère RSE ou écoresponsable.
L’autre problème est qu’actuellement, les acteurs institutionnels ne maîtrisent pas cette dimension : les politiques d’achats responsables, l’écoconception, le numérique responsable. Ils évaluent les candidats sur une base autodéclarative, voire au ressenti. Si les institutions pouvaient respecter le cadre légal et faire une analyse objective des critères, ce serait un premier pas. Je crains aussi le green washing, d’autant que le tunnel carbone pousse à se focaliser sur cette unique dimension.
Ensuite, effectivement, les acteurs et institutions publiques (Ademe, Ministère, etc.) produisent des outils, des aides, mais la décision en revient au commanditaire. Comment faire pour que se diffuse cette démarche ? Je n’ai pas la réponse.
Pour terminer cet entretien, aurais-tu deux ou trois ressources à nous communiquer pour prendre la route des autres numériques ?
Le site du Green-It dispose de ressources intéressantes pouvant apporter un éclairage sur la réalité des impacts du numérique. Il envisage surtout le web, mais offre des articles pertinents.
Le podcast Techologie est très intéressant, car il couvre plusieurs dimensions du numérique, avec des invités qualifiés. C’est une approche militante, pouvant offrir une vue globale de la filière, avec toutes ces dimensions ignorées : les minerais, les usines, les enjeux sociétaux.Je pense à une dernière référence, Les images du Futur, un livre de Joseph Deken, 1984, sur l’informatique graphique qui permet de voir dans le rétroviseur l’évolution du numérique, avec une très belle iconographie.
[Rappel] Pour celles et ceux qui souhaitent disposer du support de présentation de l’atelier que nous avons avons mené au SITEM avec Lucas Reboul et Christine Debray (PDF de plus de cinquante pages qui contient de multiples références et ressources) → merci de m’envoyer un gentil message ici-même, depuis mon site web ou dans LinkedIn.
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La question complémentaire :
Plus de remarques ? N’hésitez à rédiger un commentaire 💬 en bas de ce numéro.
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Lu, vu, entendu ⚡⚡⚡
Vous les avez peut-être ratées, muzeodrome a compilé ces informations et ressources pour vous :
Trop de déchets | Publié en mars 2024, le rapport mondial “E-Waste Monitor” de l'Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche (UNITAR) a révélé que 62 millions de tonnes de déchets d'équipements électriques et électroniques ont été produits dans le monde en 2022 - soit 7,8 kg par habitant·e humain·e de notre planète. Une hausse de 82 % par rapport à 2010. Le rapport précise aussi que “la production mondiale de déchets électroniques augmente cinq fois plus vite que le recyclage documenté de ces déchets“. Il est vraiment temps d’agir : de produire beaucoup moins de ces déchets toxiques et de légiférer pour obliger les équipements à être facilement recyclables.
Référentiel | Lancé en novembre 2022 “dans le cadre de la mission interministérielle numérique responsable”, le référentiel général d'écoconception de services numériques (RGESN) a pour objectif de permettre “de réduire la consommation de ressources informatiques et énergétiques et la contribution à l’obsolescence des équipements, qu’il s’agisse des équipements utilisateurs ou des équipements réseau ou serveur”.
Designers Éthiques | L’association Designers Éthiques travaille à la “capacitation des designers et des professionnels du numérique pour produire un numérique émancipateur, durable et désirable”. Elle a publié deux guides notables : le guide d’écoconception de services numériques et le guide « Concevoir sans dark patterns ». L’association est aussi à l’origine de la journée de l'écoconception numérique et de l’Index Conception Responsable, un nouvel outil dont l’objectif est de fédérer les différents référentiels existants (RGAA, RGESN, RGPD…).
Numérique acceptable | Militant engagé de l'éducation au numérique et alternumérisme radical, Louis Derrac présente ses positions et ses recherches dans son site Web. En août 2022, dans un article, il soulignait qu’il était essentiel de “politiser les choix techniques et technologiques” et de travailler ensemble à un “numérique acceptable”.
Festival de la muséologie | “Sobriété : innover, renoncer, ralentir“ - le programme complet du festival de la muséologie 2024 est en ligne : des tables rondes, des ateliers, des stands, une performance et une visite d’exposition… Avec Marie Ballarini (enseignante-chercheuse, Paris Dauphine - PSL), j’aurais le plaisir d’y co-animer, le 25 mai de 14h à 15h30, l’atelier “Communiquer sa sobriété auprès des publics“ (Festival en entrée libre sur inscription - les vendredi 24 & samedi 25 mai 2024 au Campus Nation, Université Sorbonne Nouvelle, Paris).
Et si on y travaillait ensemble ? | Savez-vous que je peux vous accompagner pour rediriger vos projets vers d’autres numériques ?
[Sensibilisation] - au travers d’un “catalogue” d’inspirations créatives dans les domaines des mid, slow et low tech. Catalogue qui peut être présenté dans un format atelier ou conférence.
[Accompagnement] - en assistance à maîtrise d’ouvrage, j’accompagne les projets avec des méthodes et des imaginaires spécifiques pour que les sobriétés passent de contraintes limitantes à des cadres fertiles et créatifs (réunions, ateliers, formations, interventions sur les cahiers des charges…). Vous me contactez ?
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Voila, c’est déjà la fin de la seconde partie de ce numéro 145 ! Avant de partir, n’oubliez pas de donner votre avis - au travers d’un message, d’un commentaire💬 ou d’un simple appui sur le💜.
à tout soudain,
o m e r
Je suis Omer Pesquer, consultant indépendant. Avec des approches inventives, j’accompagne les organisations culturelles dans leurs déploiements d’{autres} numériques pour stimuler et prolonger leurs rencontres avec leurs publics.
P.S.: Merci à Michel Kouklia pour la relecture de ce numéro et ses propositions de réajustement !