Salut à tou·te·s,
Bienvenue dans Muzeodrome, l’infolettre inspirante qui vous plonge dans la créativité des musées et des espaces d’expositions.
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En ces temps [toujours] étranges et incertains, voici cinq choses qui valent la peine d'être partagées avec vous cette semaine :
1) Du bleu, plus de bleu 🟦🟦🟦
Après des semaines de confinement, nous voulons du bleu : le bleu du ciel, le bleu de la mer, le bleu Klein (IKB)...
Pour ce dernier, un bot Twitter répond à nos désirs : le @YvesKleinBot.
Depuis le 16 février 2019, celui-ci publie environ 15 fois par jour la même image monochrome (plus de 11 000 publications au compteur). La biographie du @YvesKleinBot pointe vers la source de l'image qui se trouve au MoMA : une peinture de Yves Klein datant de 1961 simplement intitulée "Blue Monochrome". Le début du cartel de cette œuvre située au quatrième étage du musée d'art moderne et contemporain de New-York indique :
“Klein a déclaré que le ciel bleu était sa première œuvre d'art et, à partir de là, il a continué à trouver de nouvelles façons radicales de représenter l'infini et l'immatériel dans ses œuvres”.
Inspiré par les monochromes de Yves Klein, l'artiste numérique Jan Robert Leegte met en ligne en 2008 une œuvre intitulée BlueMonochrome.com. Je vous laisse plonger ou plutôt dé-zoomer dans celle-ci...
“Les artistes, depuis toujours, détournent les techniques ou technologies de leur temps. C’est ainsi que, de nos jours, une multitude d’œuvres en ligne résulte de détournements de services Internet.” Dominique Moulon en mai 2013 à propos de bluemonochrome.com.
Note 1 : Yves Klein était animé par l’idée consistant à “libérer la couleur de la prison de la ligne” - d’où le titre de ce numéro.
Note 2 : l'auteur-e du @YvesKleinBot, qui reste anonyme, semble être aussi celui des @BruegelBot & @BoschBot (Si vous voulez plus de bots Twitter, direction le n°30 de Muzeodrome).
/Merci à Michel Rouger
2) Un monde meilleur ? 🌍🤔
Aurions-nous pu prévoir l’arrivée de la crise sanitaire mondiale ? Aurions-nous pu prévoir que pendant les deux mois les plus intenses de cette crise la fortune des plus riches américains aurait augmentée de manière importante ?
Les amateurs de jeu de simulation savent que composer un monde meilleur n'est pas simple. Auteur de jeux vidéo et de livres-jeux, FibreTigre est un spécialiste de la fiction interactive. Très actif dans Twitter depuis 10 ans (avec un humour particulier), il a publié le 29 mai 2020 :
Bonjour. J'ai le plaisir de partager avec vous ce petit jeu : http://abw.blue
C'est un jeu sur l'HISTOIRE.
On a des événements historiques et on peut les modifier, ce qui permet de créer l'uchronie, utopique ou dystopique de votre choix. Vous me montrez vos résultats ?
Dans la lignée des fictions interactives textuelles, abw.blue propose une idée originale. Codé en langage Php, ce jeu minimaliste et sans image présente après chaque choix du joueur, une nouvelle chronologie de l'humanité. Rapidement, l'histoire prend d'étranges directions "science-fictionesques" et humoristiques. Parfois, la fin de l'humanité pointe son nez. Chaque partie réserve son lot de surprise. Après un certain nombre d'actions, le jeu se termine et vous propose d'enregistrer votre chronologie dans le “Tableau des Histoires”.
Quel enseignement pouvons-nous tirer de ce jeu ? Pendant la crise sanitaire, la majorité des voix du coté des musées et d’ailleurs ont auguré un autre avenir. Mais notre futur, qui sera issu des interactions de chacun·e, reste fort imprédictible.
3) A Distance 🚶📏🚶
Le confinement terminé, les musées rouvrent leurs portes dans le monde entier. L'expression "distanciation sociale" est présente partout, mais je préfère de loin celle de "distanciation spatiale" qui est plus juste. Cette distanciation devenue obligatoire est une extension du domaine des interdictions du musée. Dans le Smithsonian Magazine, Carolyn Chrystov-Bakargiev, directrice du Castello di Rivoli Museum of Contemporary Art (Turin, Italie) le montre très bien :
“Les musées sont des espaces soigneusement contrôlés qui ont été conçus pour protéger les œuvres d'art des personnes… Adapter cela à la protection des personnes contre les personnes est un petit pas.”
Le 4 mai 2020, on pouvait aussi lire dans un article de Frédéric Therin publié dans Le Journal des Arts, que les musées de Saxe (Allemagne) imposaient, lors de leurs réouvertures aux publics, la règle suivante :
“Une distance d’au moins 1,5 mètre devra, en outre, être maintenue entre les visiteurs qui n’auront pas le droit d’admirer une toile ou une sculpture en se donnant la main”.
Pour mettre en application la distanciation spatiale, certain·e·s imaginent des dispositifs technologiques. Par exemple un boitier porté avec un tour de coup qui vibre et sonne quand on s'approche trop près d'une autre personne. Il serait même possible d'aller plus loin dans l'utilisation des technologies avec une “Intelligence Artificielle” qui calculerait la distance entre les individus se déplaçant dans un espace. Comme souvent, ces approches solutionnistes ne sont pas vraiment les bonnes réponses. Les fonctions sociales du musée perdent beaucoup avec la distanciation spatiale. Certain·e·s vont même jusqu'à indiquer que dans ces conditions, les musées ne devraient pas rouvrir. Je ne suis pas de cet avis. Mais les messages doivent être clairs et bien accompagner les visiteurs. L'avertissement "Garder x mètres de distance" est juste mais demeure anxiogène. L'humour peut aider à estomper l'appréhension des visiteurs - un bon exemple est l'affiche du Auckland War Memorial Museum (Nouvelle-Zélande) qui montre un porc-épic et affiche le message “Garder 2 mètres de distance - Ne mettez pas les piquants en colère”.
4) Facebook efface ! ❌😞👎
“Je crois fermement que Facebook ne devrait pas être l'arbitre de la vérité de tout ce que les gens disent en ligne” Marc Zuckerberg (Fox News, 28 mai 2020)
La veille de cette déclaration, la plateforme Facebook m'indiquait que deux de mes publications allaient à l'encontre des "standards de notre communauté en matière de nudité et d'activités sexuelles". Alors que j'ai arrêté de publier dans mon profil personnel Facebook depuis plusieurs années et qu'il est très difficile pour un utilisateur d'explorer ses anciennes publications, je me suis demandé pourquoi ces deux publications avec photo datant 20 mai 2013 avaient été identifié. Alors j'ai rembobiné...
A la fin des années 2000, nous (les museogeeks) pensions que les réseaux socionumériques (RSN) étaient un formidable espace numérique de liberté. Nous avons beaucoup expérimenté dans ceux-ci (pour ma part principalement dans Twitter). Parmi les institutions que j'ai accompagné dans leurs arrivées dans les RSN, j'étais, dès fin 2009, au coté du Jeu de Paume sur ce pan de sa communication numérique. En mars 2013, le Jeu de Paume publiait dans sa page Facebook une image d'une étude de nu réalisée en 1940 par la photographe Laure Albin Guillot. La réaction de Facebook fut immédiate : suppression de la publication et désactivation de la page pendant 24 heures. L'institution avait réagi par elle même en publiant la même photo en partie masquée par un rectangle noir lorsque sa page était revenue en ligne...
A l'époque, en réaction aux multiples "censures" opérées par Facebook, une "journée du nu" dans la plateforme avait proposé par Alain Bachelier. Le 20 mai 2013, j'avais ainsi publié par activisme dans mon compte deux photos : une de Spencer Tunick et une autre de Francesca Woodman. Les batailles ont continué dans les années suivantes (Cf. l'article d'Inès Boittiaux datant mars 2018 dans Beaux Arts Magazine). Pour la photo artistique, ces combats restent d'actualité. Dans sa page consacrée aux standards de sa communauté, section 15, Facebook indique aujourd'hui : “Avec le temps, nous avons adapté nos règlements relatifs à la nudité. Nous comprenons que les contenus montrant des scènes de nudité peuvent être partagés pour diverses raisons, notamment dans le cadre d’une protestation, pour sensibiliser à une cause, ou à des fins pédagogiques ou sanitaires. Par conséquent, nous acceptons les contenus respectant de tels motifs... Nous autorisons également les photos de peintures, sculptures et autres œuvres d’art illustrant des personnages nus”.
On peut se questionner sur le positionnement des institutions culturelles par rapport à ces règlements ? Publient-elles toujours des contenus “à risque” ou s’auto-censurent-elles ? Et que pensent-elles des cohortes de travailleurs et travailleuses du clic qui contribuent au “nettoyage” des archives des utilisateurs (voir les documentaires "The Moderators" et "Les invisibles"). Jouer le jeu ou pas de la plateforme, telle est la question. La réponse définitive serait pour les institutions et pour nous de quitter Facebook!
5) Let's get phygital 🏛️🖐️🔢
“Nous nous étions préparées à passer une journée à visiter des musées et réaliser des interviews quand tout d'un coup le confinement nous est tombé dessus comme le ciel sur la tête. Notre phase de recherche a alors pris un autre tournant…”
Pauline Murça et Laura Almeida finissent actuellement un master en UX Design. Elles viennent de publier le livre blanc “Le Phygital, une nouvelle expérience pour les musées”.
“Le phygital, c'est l'intégration du digital dans le monde physique (exemple : les bornes tactiles dans les magasins). L'intégration du phygital dans les lieux culturels constitue un énorme enjeu pour les professionnels tant la mise en place d'exposition est un projet complexe. On y retrouve les difficultés liées aux métiers culturels mais aussi celles du digital. Mais le phygital réussit le pari d'allier informations et interactivité de manière spectaculaire.”
Si les expériences numériques dans l'environnement physique des musées ne sont vraiment pas nouvelles (voir Muzeodrome n°30 et ici), il est certain que celles-ci sont aujourd'hui à confronter avec celles expérimentées par leurs individus dans d'autres lieux : dans les magasins, chez eux…
Note : Pour ce livre d'or, Pauline Murça et Laura Almeida m'ont questionné sur un projet numérique in situ ; j'y ai évoqué le projet Hambye3D (page 28).
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A tout soudain pour un prochain numéro,
Omer Pesquer { https://omer.mobi/ }
Ps : Un grand merci à Michel Kouklia (alias @dr_kouk) pour sa relecture approfondie de ce numéro (et des précédents) et ses propositions.