Bienvenue dans muzeodrome !
Entre ce numéro de l’infolettre et le précédent, plusieurs mois se sont écoulés. Pendant ce temps j'ai déménagé et collectivement nous avons plongé dans l’hypnocratie. Cet état de transe où “l’information coule comme une rivière hypnotique tandis que le choc et la torpeur alternent dans un rythme étudié”.
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Un magazine pour Orsay
“Depuis quelques mois, le site français du musée d'Orsay présente une nouvelle fonctionnalité : son magazine en ligne ! Un ensemble d'articles multimédia éditorialisés dans des UNEs - un vendredi sur deux - autour de nos collections, des coulisses du musée, des expositions, de la programmation culturelle… pour penser l'art décoder le monde en valorisant nos ressources et en donnant la parole aux professionnels, artistes et penseurs qui gravitent autour du musée et de ses collections.” Agnès Abastado (Cheffe du Service du Développement Numérique des musées d'Orsay et de l'Orangerie) - mars 2025
Pendant l’année 2023, avec Solweig Mary, à l’époque directrice de l’agence Digitalis, nous avons accompagné les équipes du musée d’Orsay dans la construction des fondations de son magazine en ligne. Un des objectifs de ce média : fédérer les contenus diffusés dans le Web par le musée parisien (articles, photos, illustrations, podcasts, vidéos…).
Notre travail a débuté par un benchmark international des formes émergentes ou éprouvées de contenus éditoriaux en ligne (musées et hors musées). Pour porter le projet et ses développements, nous avons ensuite avec l’équipe éditoriale du musée (particulièrement Anne-Fleur Pouyat et Jean-Claude Lalumière) construit une stratégie éditoriale numérique - une stratégie accompagnée de plusieurs outils dont un planning éditorial. Dans notre travail, un soin particulier a aussi été porté à la vie des contenus (avec le réemploi d’anciens articles) et à l’écologie de l’attention (avec une publication par édition bimensuelle thématique).
https://www.musee-orsay.fr/fr/magazine
Belles découvertes…
ps : en février 2022, dans le numéro 106 de l’infolettre, je vous parlais déjà de la contre-attaque créative du Web et des magazines en ligne de musées.
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Nicolas Nova, un penseur des futurs
Par ses travaux précis et ses explorations particulières, Nicolas Nova avait le pouvoir d'inspirer celles et ceux qui suivaient ses recherches. Penseur singulier et remarquable observateur, il avait toujours au moins deux coups d'avance, souvent beaucoup plus. Sa disparition soudaine fin 2024 à l’âge de 47 ans a été un choc.
Depuis le début des années 2010, je suivais avec grand intérêt son carnet en ligne, ses travaux et les parutions de ses ouvrages : Les flops technologiques : comprendre les échecs pour innover en 2011, Curious Rituals: Gestural Interaction in the Digital Everyday (avec K.Miyake, W.Chiu & N.Kwon) en 2012 puis Futurs? La panne des imaginaires technologiques en 2014. Dans ce dernier livre, au contenu toujours d’actualité, il m’avait écrit cette dédicace : “Pour Omer, le futur est-il un mur ?“.
En avril 2015, il m'avait envoyé ce message privé dans Twitter : "hello, peut être curieux pour toi, une newsletter sur le numérique que je viens de lancer...". Cette infolettre aux contenus pointus c'était Lagniappe - et sans celle-ci, l'infolettre de muzeodrome n'aurait jamais existé.
Nicolas travaillait toujours en parallèle sur un ensemble de projets : des livres, des interventions ou des expositions. En 2016, au sein de l’Esadse et de la Cité du Design de Saint-Étienne, il avait été le commissaire de l’exposition Culture Interface :
“Une exposition sur les interfaces de nombreux films et séries de science-fiction mettant en scène des objets technologiques (casques de réalité virtuelle, gants connectés, smartphones, interfaces gestuelles, interfaces neuronales...) tout en souhaitant démontrer que les designers savent aussi s’affranchir des stéréotypes pour proposer des créations singulières, renouvelant à leur tour ces grands modèles fictionnels.” (Culture Interface - Source Cité du Design)
En 2018, dans sa thèse de doctorat Figures mobiles: une anthropologie du smartphone, il s’intéressait à la signification du smartphone pour ses usagers. Fin 2022, le Bestiaire de l'Anthropocène qu’il avait conçu avec DISNOVATION.ORG avait été exposé sous la forme d’une installation à la Cité internationale des arts (Paris).
Le 14 novembre 2024, lors d'une rencontre-débat chez Libralire (Paris 11e), il présentait son dernier ouvrage Persistance du merveilleux (publié aux Éditions Premier Parallèle). Ce soir là, nous étions quelques privilégié·e·s à l'écouter et à discuter avec lui des numériques et du “petit peuple de nos machines”. Dans mon exemplaire de Persistance du merveilleux, à coté de sa dédicace manuscrite, il avait ajouté le dessin d'un petit fantôme du jeu Pacman. Fantôme qui prend une tout autre dimension depuis sa disparition !
Tu vas vraiment nous manquer Nicolas :-(
Quelques hommages : "Nicolas Nova, la pensée sauvage" par Frederic Kaplan (Le Temps) / "Persistance du merveilleux, hommage à Nicolas Nova" par François Saltiel (France Culture) / “NOVA VITA“ par Pierre-Olivier Dittmar pour la rédaction de Techniques & Culture / "Nicolas Nova (1977-2024), un éclaireur des futurs possibles" par Anthony Masure & Alexia Mathieu (AOC) / Journée hommage à "la pensée curieuse, transversale et tournée vers le futur" de Nicolas Nova à LA GÉNÉRALE (Paris), Le 8 février 2025.
“Finalement, le meilleur hommage qu'on pourra lui rendre : apprendre à observer, apprendre à décrire, se donner le temps et les moyens de voir.”
Martin Lafréchoux - ”Exercices d'observation - En souvenir de Nicolas Nova” in "ABSOLUMENT TOUT"
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D’autres voies
Croyez-vous que les (big) tech ont encore le pouvoir de nous sauver ?
Ou au contraire qu’il est impératif de ralentir et de réduire la pression des numériques sur les ressources terrestres et l’ensemble des êtres vivants dont les humains ?
Depuis 2020, le Palais des Beaux-Arts de Lille s’est engagé dans la voie d’une démarche globale d'éco-responsabilité. Le vendredi 31 janvier 2025, il proposait la quatrième édition son workshop annuel. Une journée de rencontres en ligne qui avait pour thème : "Vers un numérique durable et partagé de nos musées".
J’ai eu l’opportunité d'y animer avec Agnès Abastado (Cheffe du Service du Développement Numérique des musées d'Orsay et de l'Orangerie) une conférence en trois temps intitulée "Le musée, acteur de la sobriété numérique?". Dans celle-ci, après quelques rappels historiques (entre autres sur la “loi” de Moore), j’ai mis l’accent sur d’autres voies que celle toute droite comme un autoroute vers l’enfer que nous propose les géants de la tech.
Ces voies ce sont celles des autres numériques, elles prennent parfois pour noms low-tech, mid-tech, slow-tech, small-tech, retro-tech, rebel-tech, wild-tech ou permacomputing… Ces autres numériques proposent des réponses aux injonctions court-termistes et accélérationnistes. Ces autres numériques mettent l’accent sur la convivialité et la robustesse en tenant compte des diversités et en oubliant pas l’importance de la maintenance pour construire d’autres futurs.
“Parce que s'y cultive une attention sensible à la fragilité et que s'y invente au jour le jour une diplomatie matérielle qui résiste au rythme effréné de l'obsolescence programmée et de la surconsommation, la maintenance dessine les contours d'un monde à l'écart des prétentions de la toute-puissance des humains et de l'autonomie technologique.”
— Jérôme Denis, David Pontille - Le soin des choses, Politiques de la maintenance
→ Les captations du workshop # 4 du PBA de Lille (celle avec mon intervention et mon support de présentation augmenté de liens).
“Il suffit de ralentir les choses pour qu'elles deviennent plus belles.ˮ
— David Lynch (1946-2025)
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Lu, vu, entendu
Vous les avez peut-être ratées, muzeodrome a compilé ces informations et ressources pour vous :
Diapororamas | Les diaporamas sonorisés ont beaucoup été utilisé dans les musées comme dispositifs de médiation ou de monstration pendant les années 1970 et 1980. Céline Chanas, conservatrice en chef et directrice du Musée de Bretagne, nous le rappelle dans l’article “les diaporamas dans les collections du Musée de Bretagne“ (article publié en avril 2024 dans le blog Musée Dévoilé).
Numérique en Commun[s] (NEC) | La 7ème édition de l'événement Numérique en Commun[s] s'est tenue les 25 et 26 septembre 2024 à Chambéry. Les vidéos de cette édition sont disponibles en ligne. Trois conférences pour vous donner envie de découvrir la richesse de cet événement :
- “Peut-on croire en un numérique au service de la justice sociale ?” par Hubert Guillaud (pilote du média DansLesAlgorithmes.net qui vient de publier un ouvrage sur ce sujet)
- “Soin des choses et infrastructures numériques : quelle durabilité demain ?“ par Jérôme Denis (en lien direct avec la troisième notule de ce numéro).
- “Bifurcations : du numérique au territoire, en finir avec l'insoutenabilité ?” animé par Patrick Vincent avec José Halloy et Alexandre Monnin.
Hortense Belhôte | L’actrice, autrice, historienne de l’art et créatrice de la web série Merci de ne pas Toucher (voir muzeodrome n°66) propose de fin avril à mi juin 2025 deux “conférences spectaculaires“ aux Théâtre de l’Atelier (Paris) : 1664 & Portraits de famille. Le 25 mars 2025, lors de la septième édition des Rencontre/Publics portées par Voix/Public et soutenu pour cette édition par le programme ICCARE, elle est revenue sur la création de son spectacle Escape Game au musée d’Orsay (à écouter ici) - une intervention complétée par la présentation de l’étude de réception du spectacle initiée par Noémie Couillard (à écouter ici).
FIT | Les utilisateurs des technologies numériques sont soumis à des flux d’informations de plus en plus importants et souvent contradictoires. Une étude publiée en décembre 2024 par la Fondation Jean-Jaurès montre à quel point la fatigue informationnelle est devenue une nouvelle forme de pénibilité au travail.
40% | En février l’association Green IT a publié 3ème édition de l’étude « Impacts environnementaux du numérique mondial » (avec pour année de référence 2023). Selon cette étude, en 2023, à l’échelle du monde, le numérique représentait déjà 40% du budget annuel soutenable d’une personne (pour rappel: le budget annuel soutenable est d’environ 2 tonnes de CO2 par personne). Les trois recommandations de bons sens de Green IT : utiliser moins d’équipements, conserver les équipements le plus longtemps possible et questionner nos usages.
Podcasts | Selon Jianwei Xun, le dispositif-auteur du concept d’hypnocratie : “l’alternative n’est pas de chercher une échappatoire, mais d’apprendre à déchiffrer les codes qui régissent l’illusion. Il faut s’éduquer à habiter le seuil, cet espace intermédiaire où la présence peut se maintenir dans l’altération”. Pour prendre le pouls du monde et du recul dans l’ère de l’hypnocratie, je vous recommande les trois podcasts suivants:
- Sismique de Julien Devaureix
- Circular Metabolism d’Aristide Athanassiadis
- Chaleur Humaine de Nabil Wakim avec la rédaction du Monde.
Une nouvelle informatique | En mars 2024, dans un article de son blog, le développeur logiciel et auteur de science-fiction Ploum (pseudonyme de Lionel Dricot), décrivait le non respect de l’utilisateur par l’industrie des technologies numériques : “Non seulement ses données sont exploitées, mais le logiciel est souvent intrusif. Les changements permanents empêchent l’utilisateur d’apprendre, de se former, d’acquérir des réflexes. Il est devenu impossible de maitriser l’outil parce que l’outil change constamment, il échappe au contrôle de l’utilisateur”. Ploum appelait dans la conclusion de son article à une nouvelle informatique “qui n’aurait pas pour objectif la maximisation de l’exploitation des ressources”. Travaillons pour que celle-ci advienne…
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C’est déjà la fin de ce numéro 152.
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A tout soudain ici ou ailleurs,
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Je suis Omer Pesquer. J’accompagne depuis plus de 20 ans les développements numériques des organisations culturelles. J'assiste particulièrement les musées, centres d'art et sites patrimoniaux sur des stratégies et des projets destinés à tisser, stimuler et prolonger leurs rencontres avec leurs publics. Indépendant et engagé, je conseille les organisations culturelles et les entreprises dans leurs redirections vers d'autres numériques → Mon site Web : omer.mobi
P.S.: Merci à Michel Kouklia, mon partenaire dans KMnOP, pour la relecture de ce numéro (et des précédents).
Je suis depuis un moment Muzeodrome via la newsletter alors je prends le temps de commenter pour te remercier, toujours des infos très intéressantes et inspirantes pour la curieuse du monde de la culture que je suis !
Quel plaisir de te lire à nouveau Omer !!
Merci pour toutes ces précieuses perles d'information et d'évasion !