Salut à toutes et tous,
Bienvenue dans muzeodrome, l’infolettre et le site qui vous plongent dans les {autres} numériques et la créativité des musées et des espaces d’expositions en établissant des ponts entre le passé, le présent et les futurs.
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En janvier 2024, sur ma carte de vœux, j’annonçais cette année comme celle des bifurcations. Ne plus suivre l’injonction de publier avec régularité est une des bifurcations que j’ai décidé de prendre, en gardant pour objectif d’écrire environ une vingtaine de numéro de muzeodrome par an.
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Réfléchir et agir ensemble 🤔💪
Le jeudi 4 avril 2024, la société de conception audiovisuelle et interactive Kaléo m'a invité à intervenir dans un atelier du SITEM autour de l'écoconception de dispositifs numériques.
J'ai ouvert cet atelier avec une présentation intitulée “Suivre la ligne ou bifurquer ? Après plus de 50 ans de développement des numériques [dans les musées], où souhaitons-nous aller ?“ (voir la notule “Sortir de la ligne“ ci-dessous).
Christine Debray, directrice de projet sobriété numérique culturelle au ministère de la Culture, a ensuite présenté les nombreuses actions structurantes mises en place par l’État français pour accompagner les pratiques numériques du secteur culturel vers la sobriété numérique (le délit d’obsolescence programmée, l’indice de réparabilité, le bonus réparation, l’évolution de la législation concernant les biens publics, le guide du ministère pour une transition écologique du secteur culturel, l’appel à projets France 2030 “Alternatives vertes 2“…).
Enfin Lucas Reboul, réalisateur-concepteur interactif et cofondateur de Kaleo, a donné des pistes pour "faire autrement" en se posant de bonnes questions et en s'appuyant sur diverses ressources. Lucas a aussi montré comment il était arrivé à faire bifurquer plusieurs réalisations numériques vers plus de sobriété tout en conservant la créativité de celles-ci. (→ un long entretien avec Lucas Reboul sera publié la semaine prochaine dans la seconde partie de ce numéro double).
“Une autre ligne numérique cherche à formuler des voies nouvelles, en intégrant la sobriété, l’ergonomie, l’artistique, l’ingéniosité, la low tech et la mid tech. Dans cet espace, beaucoup de propositions sont à faire, en mobilisant collectivement toutes les intelligences humaines.”
Lucas Reboul
Pour celles et ceux qui souhaitent disposer du support de présentation de cet atelier (PDF de plus de cinquante pages qui contient des multiples références et ressources) → merci de m’envoyer un gentil message ici-même, depuis mon site web ou dans LinkedIn.
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Sortir de la ligne 📈↘️
Nous ne nous en rendons pas vraiment compte, mais depuis presque cinquante ans, nous sommes “piégé·e·s” dans un programme hyper-industriel qui suit une loi empirique formulée au milieu des années 1970.
« la puissance des puces électroniques double tous les deux ans »
Gordon Moore - 1975
Gordon Moore (1929-2023), ce nom ne vous dit peut-être rien ? Il a été avec Robert Noyce et Andrew Grove, un des trois fondateurs en 1968 de Intel, la première entreprise à commercialiser un microprocesseur en 1971 (voir à ce sujet le numéro de muzeodrome intitulé “Un petit français avec un 8008“).
Après 1975, la “déduction expérimentale” de Moore est devenue un programme industriel qui “a été utilisée dans l'industrie des semi-conducteurs pour guider la planification à long terme et pour fixer des objectifs de recherche et développement, fonctionnant ainsi dans une certaine mesure comme une prophétie auto-réalisatrice” (Wikipédia EN).
Ces cinquante dernières années, les innovations informatiques/numériques des musées ont été portées par ce programme industriel productiviste. Du coté des musées français :
Dès les années 1970, l’informatique s’installe dans certains musées (premier ordinateur dans un musée, le musée national des arts et traditions populaires - début de la création des bases données des collections des musées de France).
Dans les années 1980, s’ouvre l’ère des premiers dispositifs de médiation numériques (ouverture à Paris de la Cité des Sciences et de l’Industrie en 1986, avec de nombreux dispositifs faisant appel aux interactions humain-machine, dont des dispositifs sonores - à la fin de décennie, le film «Mémoires de Pierre» inclut trois minutes d’images de synthèse présentant la reconstitution en 3D de la grande église de Cluny)
Dans les années 1990, l’informatique continue de s’implanter dans la sphère muséale : bornes interactives, sites web (et services minitel), cédéroms multimédias (1994, cédérom du Louvre - 1996, cédérom « Découvrir le Musée d’Orsay » - avec une visite virtuelle de l’espace central du musée et des zooms dans les œuvres).
Dans les années 2000 et ensuite, le numérique dévore le monde avec de plus en plus d’appétit aussi coté des musées - en ligne (sites web de plus en plus gros, développement de multiples présences en ligne) et in situ (à la fin des années 2000, reconstitutions 3D superposées à différents points du site de l’Abbaye de Cluny - dés 2009, l’arrivée des applications pour smartphone, dont la toute première réalisée par Audiovisit pour le Musée de Cluny - en 2011, le Centre Pompidou expérimente la reconnaissance de formes avec l’application Blinkster et en avril 2012, Le musée du Louvre remplace ses audio-guides par des 3DS…).
Entre 2000 et 2024, si on effectue un rapide calcul, selon la “loi de Moore”, la puissance brute d’un processeur, à prix égal, aurait été multiplié par 4096 !
Mais a-t-on besoin de tant de puissance pour des usages déjà identifiés ? Et les personnes qui utilisent des machines constatent-t-elles vraiment cette démultiplication de puissance ? Vous par exemple, avez-vous l’impression que la machine sur laquelle vous lisez cette infolettre est x fois plus puissante que celle d’il y a quelques années ? Il est fort probable que votre réponse soit négative car les programmes informatiques, qui sont de plus en plus gros, ralentissent la puissance du matériel (voir la loi empirique de Wirth formulée en 1995: « Les programmes ralentissent plus vite que le matériel n’accélère. »).
L’application de la “loi de Moore“ présente aussi d’innombrables effets négatifs qui pèsent de plus en plus sur nos sociétés : obsolescence programmée («La configuration minimale requise double tous les 2 ans» Frédéric Bordage), effet rebond (Paradoxe de Jevons), accélération de l’extractivisme des minéraux, production de déchets électroniques toxiques très peu recyclés… Invisibilisés par les techno-optimistes, ces effets combinés à la consommation électrique nécessaire au fonctionnement de ces machines, présentent un coût environnemental non négligeable qui participe à l’épuisement des ressources terrestres, au dérèglement climatique et à la diminution de la biodiversité.
Dans leurs missions, les musées doivent encourager la diversité et la durabilité. Ils n’y parviendront qu’en adoptant de multiples sobriétés. Face aux injonctions performatives de la “loi de Moore”, la redirection ne sera possible qu’en investissant d’autres numériques.
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Nous avons besoin d’autres numériques 🤗🔣
Il y a trois ans, en mars 2021, j’avais été cordialement invité à donner mon “point de vue” dans La lettre de l’Ocim. J’avais profité de cette carte blanche pour questionner la place des numériques dans les institutions muséales dans un article intitulé “Ouvrir d’autres numériques“.
Aujourd’hui, étant donné les innombrables changements en cours, il est évident que muzeodrome doit s’engager encore plus pour sortir de l’”informatique impersonnelle” et pour œuvrer à la visibilité d’autres numériques conviviaux et originaux tout en étant moins consommateurs en ressources, énergie et attention.
Depuis plusieurs décennies, je suis moi-même un acteur de l’informatisation de la société (comme je le développe dans mon autobiographie numérique). Alors que “le monde change et qu’on n’y comprend rien”, je ne suis plus en adéquation avec l’hyper-développement de l’informatique mainstream, que l’on appelle la Tech. Mais plutôt que d’adopter une approche uniquement technocritique, je préfère avec muzeodrome partir à la recherche de la ligne de crête qui affiche "autres numériques = autres futurs”.
“L'humanité dépend pour sa survie d'une organisation sociale et d'infrastructures qui ne pourront être indéfiniment maintenues. Pour que la Terre reste habitable, il faut organiser le renoncement, pas seulement à l'échelle individuelle, mais aussi à l'échelle de ces "communs négatifs" qui composent notre cadre de vie. Le problème est qu'on ne redevient pas facilement "terrestres" à huit milliards. Entre l'arrêt de tout et l'intenable business as usual, existe-t-il une ligne de crête qui permettrait la survie de l'espèce dans des conditions justes et démocratiques ?”
Début de la présentation de l’ouvrage d’Alexandre Monnin “Politiser le renoncement“ (publié en avril 2023 par Éditions Divergences)
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Lu, vu, entendu ⚡⚡⚡
Vous les avez peut-être ratées, muzeodrome a compilé ces informations et ressources pour vous :
Le 35e anniversaire du web | Tim Berners-Lee, le créateur principal du Web, a publié en mars 2024 une lettre ouverte pour marquer cet anniversaire. Il rappelle dans l’introduction de celle-ci, l’espoir d’origine du Web qu’il appelle les 3 C : '“l'ensemble de son infrastructure avait l'intention de permettre la collaboration, d'encourager la compassion et de générer de la créativité”. Il constate ensuite qu’“au cours de la dernière décennie, au lieu d'incarner ces valeurs, le web a plutôt joué un rôle dans leur érosion” et ensuite que “l'avenir dépend de notre capacité à réformer le système actuel et à en créer un nouveau qui serve véritablement les meilleurs intérêts de l'humanité”.
L’article complet de Tim Berners-Lee et les moyens d’action qu’il propose sont à lire dans son compte médium.
Inverser la loi de Moore | Le lendemain de mon intervention au SITEM 2024, Tristan Nitot publiait le premier épisode de la saison 4 de “l’Octet Vert”. Un épisode spécial du “podcast qui parle de climat, de numérique et qui file la pêche !” consacré à la “loi de Moore” ! Pour cet épisode, “l’Octet Vert“ s’est associé à un autre podcast, le très recommandable “Numériques essentiels 2030” de Frugarilla. Le thèse de Nitot est qu’il serait possible d’arrêter l’obsolescence des machines si contraignait le logiciel a être “deux fois plus rapide tous les deux ans”.
Alternatives Vertes 2 | Le 11 avril 2024 , le ministère de la Culture a annoncé les 13 lauréats de la vague 1 d’« Alternatives Vertes 2 ». Du coté des musées et des patrimoines, quatre projets ont été sélectionné : une plateforme en ligne de calcul et d'analyse d'impact des expositions - un emballage à base de carton pour le stockage et le transport œuvres d'art - un outil opérationnel d’évaluation des trajectoires énergie-carbones des monuments historiques - un outil pour réduire collectivement l'empreinte carbone du secteur des musées en maitrisant mieux le “contrôle du climat” (projet proposé par l’ICOM).
Manifeste | En clôture du SITEM 2014, le 4 avril 2024, la Fédération des Concepteurs d'Expositions XPO a lancé un “Manifeste de l’éco-conception des expositions permanentes et temporaires”. Fruit d’une réflexion transversale, ce manifeste évolutif propose “50 recommandations concrètes pour des pratiques responsables, sociales et durables”. Il ”vise à concilier les attentes parfois divergentes et à intégrer des solutions novatrices pour relever les défis contemporains… Il appelle à une révolution méthodologique préconisant la constitution d’équipes interdisciplinaires, la refonte des modalités de la commande et la formation de tous les professionnels de l’écosystème. “
Veilles | Depuis janvier 2014, Priscille Legros publie l’infolettre irrégulière “La bouture numérique” (2 numéros publiés à ce jour). Une infolettre où elle présente sa veille professionnelle sur “le numérique éthique et soutenable dans le secteur créatif et culturel”. De son coté, Bérénice Gagne de l’UMR 5600 EVS propose le premier numéro d’une vertigineuse “veille scientifique sur les dynamiques de changement entre environnement, ville et société” - quelques rubriques du premier numéro pour vous donner envie d’y plonger : “Faire territoire, faire société / Socio-écosystèmes / Flux et circulations / Santé et environnements / Spatialités numériques et géomatique / Objets et urbanisation...”
Sobriété : innover, renoncer, ralentir | La troisième édition du Festival de la Muséologie (24-25 mai 2024 - Paris) a “pour ambition d’explorer la thématique de la sobriété dans les musées, d’un point de vue théorique et pratique, en la mettant en perspective avec les notions d’innovation, de renoncement et de ralentissement”. J’ai eu accès au pré-programme du festival qui est réjouissant. De plus, celui-ci m’a fait l’honneur de m’inviter à co-animer un atelier. Je vous en dis plus bientôt…
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La seconde partie du numéro, publiée le 2 mai 2024, est par ici :
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Voila, c’est déjà la fin de la première partie de ce numéro 145 ! Avant de partir, n’oubliez pas de donner votre avis - au travers d’un message, d’un commentaire💬 ou d’un simple appui sur le💜.
à tout soudain,
o m e r
Je suis Omer Pesquer, consultant indépendant. Avec des approches inventives, j’accompagne les organisations culturelles dans leurs déploiements d’{autres} numériques pour stimuler et prolonger leurs rencontres avec leurs publics.
P.S.: Merci à Michel Kouklia pour la relecture de ce numéro et ses propositions de réajustement !
Petite précision : Dans un article publié en 1965 dans le magazine Electronics, Gordon Moore avait donné une première version de sa loi empirique. Celle-ci indiquait que la complexité des semi-conducteurs (d'entrée de gamme) doublait tous les ans à coût constant. Formule qu'il révisa en 1975 avec l'arrivée des microprocesseurs.