Salut à toutes et tous,
Bienvenue dans Muzeodrome, l’infolettre inspirante qui vous plonge dans la créativité des musées et des espaces d’expositions en établissant des ponts entre le passé, le présent et les futurs.
Vous êtes maintenant plus de 2700 abonné·e·s à l’infolettre Muzeodrome. Ce cap a été franchi dans le prolongement de la publication d’un numéro de “Futur(s) par 15marches”, l’infolettre qui tous les jeudis propose une fiction du futur. Dans ce numéro spécial, Noémie Aubron montrait ses coulisses de fabrication et partageait une sélection de newsletters qui font partie de ses sources d’inspirations - dont Muzeodrome classifiée dans la catégorie “Les niches bizarres“ > Merci Noémie :)
Ce numéro 108 débute avec un penseur humaniste et inventif à l’origine d’une machine originale à la fin des années 1960.
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Composition mobile ⌨️
“Alors que, dans la science, un ensemble d’expériences donne un seul résultat, dans l’art, une seule expérience donne un ensemble de résultats différents.”
Yona Friedman
Présentée du 12 mars au 3 juillet 2022 au Quadrilatère, Centre d’art contemporain de Beauvais (France), “L’Exposition Mobile” tient de l’atelier. Il est d’ailleurs possible aux publics de créer des formes dans un espace dédié au cœur de l’exposition. Consacrée à l’inventivité de l’artiste, architecte et humaniste Yona Friedman (1923-2019), cette exposition s’appuie sur un fonds d’œuvres conservées par le CNEAI = au Frac Grand Large - un fond “déployé, reconfiguré, augmenté et approprié par différents lieux singuliers de la région des Hauts-de-France” au travers d’une série d’exposition”. Avant Beauvais, des versions de l’”exposition mobile” ont été présentées à Dunkerque, Amiens et Maubeuge. Au Quadrilatère, celle-ci se déploie dans les larges espaces du centre d’art en dialogue avec un ensemble de réalisations autour des processus de l’atelier londonien Minimaforms.
"ARCHITECTURE MOBILE: Systèmes de constructions permettant à l’habitant de déterminer lui-même la forme, l’orientation, le style, etc., de son appartement et de pouvoir changer cette forme, chaque fois qu’il le décide." Yona Friedman
Au cours de son existence Yona Friedman n’a cessé d’explorer de nouveaux concepts pour placer l’humain au centre de son environnement. Lors de ma visite au Quadrilatère, la vidéo d’une séquence diffusée en 1969 par l’ORTF a particulièrement retenu mon attention. Dans celle-ci, Yona Friedman décrit avec vivacité une “machine à écrire les appartements” : la flatwriter. L’utilisation de cette machine originale s’opère en trois séquences. Dans un premier temps, l’utilisateur, que nous appellerons l’habitant, construit par choix successifs le plan de son appartement. En combinant les 53 touches d’un clavier spécial (type de pièce, orientation, etc), il est possible pour l’habitant de choisir entre les 3 à 5 millions de modèles d’appartements possibles. Dans un second temps, l’habitant place son appartement sur un plan tridimensionnel. Si la place est libre et qu’elle ne bloque pas les actions des futurs habitants, le choix est validé par la machine. La “ville virtuelle”, ainsi construite par les ajouts de ses habitants, s’affiche au fur et à mesure sur un écran télévision. Fascinant !
La flatwriter fut expérimentée publiquement et massivement en 1970 lors de l’exposition universelle d’Osaka (Japon) - les visiteurs de l’Expo’70 étant appelé à construire une “ville virtuelle” dans une démarche participative. Pour réaliser cette prouesse technologique Yona Friedman avait travaillé avec les chercheurs états-uniens Nicholas Negroponte et Guy Weinzapfel de l'Architecture Machine Group (AMG) du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Ce travail en commun fut poursuivi entre 1975 et 1977 par un projet de recherche de l’AMG intitulé "Architecture by Yourself : An Experiment with Computer Graphics for House Design". Un projet centré autour d’un programme informatique dont l’objectif était de permettre aux non-architectes de concevoir leurs propres appartements. Un travail considérable avait été accompli sur le scénario d’usage et l’interface de ce programme (appelé YONA en hommage aux visions de Friedman). La conception des appartements s’effectuant étape et étape au travers d’une interface utilisateur tactile et entièrement graphique dont la fonction était d’éliminer “l'une des barrières les plus sérieuses entre les utilisateurs débutants et la machine”.
"Le désordre n'existe pas. N'existe que l'ordre compliqué." Yona Friedman
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Toujours ennemi de la routine 🎢
« Allons reposer un instant nos esprits dans le temple des Arts ! proposa Hélène en arrivant aux portes du Louvre.
— Voici le tramway circulaire, dit Barnabette ; nous ferons à l’aise le voyage à travers les chefs-d’œuvre… »
En effet, dernier progrès accompli par un ministre des Beaux-Arts ennemi de la routine, un charmant et élégant tramway, mû par l’électricité, court maintenant sur des rails à travers toutes les galeries du musée. Partant toutes les heures de la galerie des Antiques, le tramway, après avoir traversé toutes les salles du rez-de-chaussée, monte par des pentes préparées au premier étage, commence par la galerie des Maîtres primitifs, arrive au grand salon de la Renaissance, parcourt les galeries des écoles Italienne, Espagnole, Hollandaise, Allemande, suit doucement et religieusement la grande galerie de l’école Française et bifurque ensuite pour monter, par une pente adoucie, au second étage, réservé à la peinture moderne.
Ce voyage à travers les Arts dure une heure à peine. En une heure, les visiteurs ont parcouru toute l’histoire des Beaux-Arts, depuis les superbes époques grecques et romaines jusqu’à la grande révolution des modernistes ou des photopeintres ; en une heure, le visiteur le plus ignorant peut, s’il a des yeux et des oreilles, en savoir presque autant que le critique le plus transcendental.
Les jeunes demoiselles entreprirent avec délices ce pèlerinage artistique. L’effort est inutile et la fatigue supprimée, le tramway est bien suspendu et les coussins fort moelleux invitent au repos. Il suffit de regarder et d’écouter ; on n’a pas besoin de livret, car en passant devant chaque tableau le tramway presse un bouton et instantanément un phonographe donne le nom du peintre, le titre du tableau ainsi qu’une courte mais substantielle notice.
Dans le n°37 de l’infolettre, j’ai déjà évoqué ce texte provocateur et précurseur d’Albert Robida. Toutefois, il m’a semblé opportun de vous en proposer aujourd’hui un extrait plus long pour deux raisons :
Ce que décrit Albert Robida dans une partie de cette fiction résonne avec 70ème anniversaire de la création de l’audioguide, même si ici le bouton qui permet de lancer la médiation sonore n’est pas mobile.
Reprenant l’idée d’Albert Robida, le Rijksmuseum publiait le 1er avril 2022 ce message : “Avec plus de 8 000 œuvres exposées, le #Rijksmuseum est un endroit assez grand ! Pour rendre la visite de chacun aussi confortable que possible, nous avons installé un tout nouveau monorail. Installez-vous confortablement et profitez du Rijksmuseum dans toute sa splendeur ! 🎢”. Une photo très réaliste accompagnait le message du musée. Message qui était, comme vous l’avez deviné, un poisson d’avril !
Et vous, quel dispositif rêveriez-vous de voir dans un musée dans 20, 30 ou 50 ans ?
/Merci à Aurore Soares pour m’avoir soufflée la question finale de cette notule.
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Dans les mini-alcôves immersives 😯
Colpizen est illustratrice. Le sujet ainsi que l’affiche de "La Joconde, exposition immersive" l’ont attiré au Palais de la Bourse de Marseille, un lieu qu’elle apprécie particulièrement. Après avoir expérimenté l’attraction-événement, elle publiait le 26 mars 2022 dans Twitter un avis agacé qui commençait par ces mots : “[Vadrouillages] Vu l'expo Joconde au Palais de la Bourse, ne faites pas ça :/ …”. J’ai voulu en savoir plus:
Votre avis est assez cinglant : “ne faites pas ça :/”.
Expression courante sur Twitter, désolée. Et vraiment le gap entre le prix d'entrée (15€) et l'expo justifiait mon agacement.
Vous évoquez aussi le fait que les espaces de cette attraction n'étaient pas prévus pour un grand nombre de visiteur ?
Je n'ai pas été la seule à ronchonner. Les assises des alcôves immersives étant ridiculement étroites, on attend son tour, la visite n'est plus fluide et donc moins immersive :) L'expo est assez petite aussi.
Pour conclure, un point qui vous particulièrement plu lors de votre visite ?
Bonne idée que de proposer une expo sur la Joconde avec des infos historiques ou techniques de peinture/courants picturaux, scénarisées, et des bornes interactives (genre qui a volé la Joconde). Mais pourquoi n'avoir mis que des mini-alcôves qui n'isolent pas beaucoup (donc immersif un peu raté) en ne laissant s'asseoir que 2 personnes ?
Ces propos de Colpizen soulignent l’importance de la place des corps dans les expositions immersives. Des corps qui ont parfois besoin s’asseoir, voir même de s’allonger.
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Le déclic écologique 🍏
Le 22 avril 2022, la promotion “John Kinard” du Master 2 Musées et Nouveaux Médias (Université Sorbonne Nouvelle) organise la journée d’étude “Déclic écologique au musée”. Au cours de cette journée d’étude, qui aura lieu en ligne, seront abordées de multiples problématiques dont la sobriété numérique. J’ai posé cinq questions aux étudiant·e·s de la promotion “John Kinard” à propos de cette journée.
Pouvez-vous présenter le master Musées et Nouveaux Médias en quelques mots?
Ce master professionnalisant évolue entre la muséologie et la gestion de projets culturels. Les étudiant·es effectuent des expériences directement sur le terrain, par le biais de stages, d'alternances et de projets communs qui s'étalent sur plusieurs mois. Il nous permet de développer des engagements qui nous sont chers (restitution, inclusion, écologie…).
Pourquoi avoir choisi comme sujet pour votre journée d'étude "Le déclic écologique au musée"?
Associer les thématiques du numérique et de l’écologie nous a paru important, à la fois du point de vue de nos enseignements, et de celui de l’actualité et de nos propres engagements en tant que futur·es professionnel·les, l’écologie étant une cause que nous soutenons activement.
Pour vous à quels défis écologiques doivent répondre les musées les années à venir ?
Les musées doivent remettre en question leurs modes de fonctionnement face à l’urgence de la transition écologique, et mener une réflexion quant à la manière de produire, de consommer, de créer, d’accueillir et de former.
Les défis majeurs : l’approvisionnement en ressources fossiles, la logique de courses aux projets, événements et expositions temporaires, la gestion des bâtiments, l’empreinte carbone et l’archivage numérique
Et au niveau du/des numérique(s) ?
Le numérique possède de nombreux apports pour les musées : médiation, accessibilité, communication… Il permet des expériences muséales inédites et constitue des solutions alternatives, comme l’a illustré la crise sanitaire. Son impact environnemental n’est toutefois pas négligeable et doit être pris en compte par les structures désirant entamer une transition écologique.
Une ressource essentielle à recommander aux lectrices et lecteurs de Muzeodrome?
Le rapport Décarbonons la culture ! de the Shift project. Dans l’ère du temps des constats alarmants actuels, il embrasse globalement le secteur culturel. Il fait lui-même le constat de l’empreinte carbone du milieu et donne des informations pratiques sur les actions alternatives pouvant être menées.
► Pour en savoir plus sur la journée “Déclic écologique au musée”, ses intervenant·e·s et pour vous inscrire c’est par ici.
J’aurai pour ma part le plaisir de conclure cette journée par une courte intervention sur les autres techs (low-tech, slow-tech, retro-tech…).
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Lu, vu, entendu ⚡
Vous les avez peut-être ratées, Muzeodrome a compilé ces informations et ressources pour vous :
Depuis mars 2021, le @Morellet_Bot '“publie 2 fois par jour des lignes au hasard, façon François Morellet”.
Les “Archives Institut J.-J. Rousseau (AIJJR) préservent et valorisent le patrimoine lié à l'Institut Rousseau, fondé à Genève en 1912”. Les AIJJR proposent l’exposition en ligne « Invisibles. Mémoires de jeunes filles (dé)rangées, Genève, 1900-2000 » : une exposition “qui dévoile le parcours des enfants placés dans la Suisse du XXe siècle, en insistant sur le sort fait aux filles. À voir, à lire et à écouter!” /via Jean Abbiateci
“En février 2022, Wikipédia en français compte 525 953 biographies d'hommes, contre 124 535 de femmes, soit seulement 19,125 %”. Les sans pagEs est un projet qui “vise à combler le fossé et le biais de genre sur Wikipedia en créant et améliorant des articles portant sur des femmes, sur les féminismes ou d'autres sujets sous-représentés”. “Afin de compléter les biographies sans photos et de faire connaître un peu plus certaines femmes”, les sans pagEs lancent “les sans imagEs“ un appel aux illustrateurs et illustratrices.
Du 27 mars au 10 juillet 2022, le Baltimore Museum of Art (BMA - USA) présente “Guarding the Art” : une exposition de 25 œuvres du musée sélectionnées par les gardiens de celui-ci. Comme le souligne un article de Taylor Dafoe publié dans Artnet : “Les membres de l'équipe [les gardiens] passent plus de temps que quiconque à regarder les murs du musée et maintenant, pour la première fois, ils décident des œuvres qui y seront accrochées." (un article repéré par Jean Abbiateci).
Un parcours humoristique à Lugdunum (69), à découvrir dans le blog Exposcope !
Cette année, le SITEM, salon international des musées, des lieux de culture et de tourisme (équipement, valorisation & innovation) aura lieu les 28, 29 & 30 juin 2022 au Carrousel du Louvre (Paris). J’y serai pour y faire de belles découvertes et trouver la matière à un numéro spécial de l’infolettre…
Des espaces adaptés pour faire la sieste dans les musées, on en parle ?
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Voila, c’est déjà la fin du numéro 108.
Merci pour votre attention, je suis Omer Pesquer, consultant spécialiste des technologies et des usages associés au numérique.
La suite au prochain numéro - à tout soudain,
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P.S. : Merci à @dr_kouk pour sa relecture.
P.S.2 : j’ai été invité par le Club Culture et Management à débattre autour du sujet “NFT, une révolution dans le monde de l'art ?”. Autres intervenant·e·s de ce débat qui aura lieu chez Beaux Arts & Cie (Paris) le 21 avril 2022 à partir de 19h.: Marion Carré (co-fondatrice et Présidente d'Ask Mona), Jean-Baptiste Costa (directeur général délégué de Beaux Arts & Cie et Directeur d'investissement chez Art Nova) et Julien Dumon (directeur du Digital et du Développement à la Sacem).