👉 Mutations et innovations → et si on changeait d’imaginaires.
▙
En pleine Mutation 🐢 👽
J’ai croisé la route de Laurent Courau au tournant du second millénaire. Nous étions tous les deux engagés dans le Web indépendant : lui avec La Spirale et moi avec LeWub. En 2001, nous avons collaboré autour du projet porteW - un micro-portail web qui fédérait les actualités de plusieurs sites culturels indépendants (voir cet article de Libération).
Passionné par la presse et les médias depuis son adolescence, Laurent a réussi au fil des expériences à en faire son métier. Par ailleurs, il a toujours cultivé un intérêt pour ce qui se trame hors des sentiers battus, sur les marges culturelles, dans les laboratoires de recherche et sous d’autres horizons. Aujourd’hui, il est à la fois curateur, auteur de livres, réalisateur de films documentaires et créateur des médias.
Bonjour Laurent, tu viens de lancer le magazine en ligne Mutation, pourquoi ?
Actuel utilisait « nouveau et intéressant » comme slogan. Face à la morosité qui prédomine aujourd’hui, j’ai eu envie de renouer avec cet esprit de découverte. De partager cet appétit pour le présent et le futur, pour l’inventivité bouillonnante du moment… Mutation est né de mon envie de partager cet enthousiasme. En démontrant qu’il ne tient qu’à nous de repenser le XXIe siècle, de reprendre goût en l’avenir au travers d’initiatives optimistes, novatrices et curieuses. Plus que jamais, il apparaît urgent de défricher au-delà des clivages dominants pour démontrer qu’un autre monde est possible. Pour sortir de l’impasse anxiogène dont semblent désormais prisonniers nos imaginaires, tout particulièrement en Europe.
Pourquoi avoir choisi le web comme type de média ?
En terme de diffusion, le web reste le support le plus versatile, pour démarrer un nouveau projet de média. Mais ce n’est pas tout. Mutation se déclinera dans les prochains mois sous la forme d’une revue imprimée, trimestrielle et thématique. Nous explorerons l’Afrique du futur, le renouveau de la course à l’espace, les nouvelles formes de réalité hybrides, etc.
Les futurs t'inspirent depuis longtemps, quelles sont pour toi les mutations à venir dans les musées dans un avenir proche ou un peu plus lointain ?
Au-delà de la mise en œuvre de technologies nouvelles, c’est l’« émerveillement » des publics, en tant que chemin de la connaissance, qui me semble constituer l’élément clé des musées du futur.
Ça rejoint ce que je disais plus tôt au sujet de Mutation. Un musée ou un média se doit d’élargir nos champs de réalité pour nous donner envie de nous développer de manière plus réjouissante, généreuse et constructive, à un niveau à la fois individuel et collectif.
Imagines-tu que de nouveaux types de musées pourraient apparaitre sur Terre ou dans l'espace d'ici 100 ans ?
Très certainement. Il y aura des musées, que ce soit sur Terre ou dans l’espace tant que notre espèce existera. À quoi ressembleront-ils ? Difficile à prédire. Notre courbe d’évolution est telle qu’il me semble impossible d’imaginer ce à quoi ressemblera l’expérience de vie humaine dans un siècle. On le note en science-fiction, où les auteurs ont dorénavant du mal à se projeter.
On peut imaginer des « espaces » d’exposition physiques et/ou virtuels qui recréent l’expérience d’une vie terrestre pour nos descendants sur d’autres planètes ou embarqués à bord de stations orbitales ; comme une « machine à remonter le temps » muséale qui mobilisera nos cinq sens pour reconstituer le passé dans un grand jeu de rôle et une forme de synesthésie totale.
Mais plus que le virtuel, je crois surtout à la nécessité d’un rappel constant du « réel » et du « sensible ». Et c’est là que les objets et les œuvres tangibles conserveront une place centrale. L’émotion n’est pas la même lorsque l’on se trouve face à un masque dogon ou à sa reproduction numérique, aussi parfait soit l’hologramme ; d’où l’inéluctabilité d’une hybridation des contenus.
Une lecture / ressource complémentaire à recommander aux lectrices et lecteurs de Muzeodrome ?
Le livre Divine Horsemen: The Living Gods of Haiti de la réalisatrice new-yorkaise Maya Deren. Partie en Haïti pour étudier les danses traditionnelles à la fin des années 1940, elle y découvre le vaudou. De cette rencontre, elle réalisera un film documentaire et écrira ce livre majeur au croisement d’un document anthropologique et d’un essai sur la création artistique.
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C’est quoi l’innovation ? ✖️
“Si vous regardez l’histoire, l’innovation ne vient pas seulement du fait d’offrir des incitations aux gens ; cela vient de la création d’environnements où leurs idées peuvent se connecter.”
Steven Johnson
Depuis des années, je m’interroge sur ce qu’est l’innovation. Ne devrions nous pas collectivement changer notre vision de celle-ci en la confrontant d’un coté à l’histoire des techniques et de l’autre aux enjeux actuels de l’humanité, dont celui du changement climatique ? Le lancement de la cinquième édition de l’appel à projets Services Numériques Innovants (SNI) du ministère de Culture n’a fait que renforcer mon questionnement.
”Pour favoriser l'émergence d'usages culturels numériques innovants dans le secteur culturel, le ministère de la Culture alloue une subvention aux porteurs de projets dédiés au développement de preuves de concept de dispositifs numériques et à leur expérimentation.”
Extrait de de la Présentation du SNI
Plus loin, cette présentation indique aussi que :
”L'appel à projets vise les solutions basées sur des technologies encore peu répandues dans le champ de la culture ou susceptibles de participer à la création de nouveaux usages numériques pour les acteurs culturels.”
Au delà de l’approche solutionniste de la démarche, ce qui m’a le plus marqué dans cette appel à projet est sa vidéo de présentation publiée dans YouTube. Vidéo qui inclut plusieurs séquences vidéos de stock.
La séquence vidéo utilisée pour la miniature à particulièrement attirée mon attention. Celle-ci montre une femme qui porte des lunettes lumineuses qui changent de couleurs dans un espace qui semble proposé une expérience immersive. On pourrait penser qu’il s’agit d’un projet de design fiction s’appuyant sur un objet diégétique pour nous inviter à glisser dans un futur désirable. Il n’en est rien ! Probablement été tourné en Asie, cette séquence vidéo de la société TWT (stock production) présente un gadget en plastique à 5 dollars. Gadget qui finira par être un déchet de plus dans quelques temps.
La création d’environnements propices à l’établissement de nouvelles connexions et à l’éclosion de nouveaux imaginaires est devenu indispensable pour forger un futur désirable. Les musées peuvent jouer un rôle dans ces changements en mobilisant d’autres approches - y compris du coté des numériques.
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Les jetons sont-ils (vraiment) éternels ? 🪙
En novembre 2021, dans le n°99 de l’infolettre titré “Les jetons sont-ils éternels?”, je m’interrogeais sur l’avenir des jetons non fongibles (NFT). En avril 2022, j’étais aussi intervenu sur ce sujet lors d’une table ronde organisée par le Club Culture & Management en soulignant la précarité de ces jetons animés par des jeux spéculatifs et des technologies non matures.
Après la hype de 2021, le marché des NFT a montré de forts signes d’essoufflement. La vente de 10·000 NFT du tableau Le Baiser de Gustav Klimt par le Musée du Belvédère (Vienne) est significative de ce basculement. En janvier 2022 et pour la Saint-Valentin, ces NFT sont lancés dans un grand battage médiatique avec un prix de vente fixé à 1850 €. Le mois suivant, le musée publie un communiqué triomphal clamant son “succès sur le marché Metaverse”. Ensuite rien ne se passe comme prévu ! Début mai 2022, moins d’un quart des NFT aurait été acheté et le prix de ceux-ci à la revente s’effondre. Quelle confiance donner ensuite à l’institution qui a lancé cette opération ?
Publiée par dappGambl, site Web animé par des experts du “Web 3”, l’analyse “Dead NFTs: The Evolving Landscape of the NFT Market” dévoile aujourd’hui l’étendu de l’effondrement de la valeur des NFT :
“Sur les 73 257 collections NFT que nous avons identifiées, 69 795 d’entre elles ont une capitalisation boursière de 0 Ether (ETH). Cette statistique signifie effectivement que 95 % des personnes détenant des collections NFT détiennent actuellement des investissements sans valeur”
“Nous avons décidé d'examiner les 8850 meilleures collections NFT selon CoinMarketCap, et voici ce que nous avons trouvé… Un nombre surprenant de 18 % de ces collections haut de gamme ont un prix plancher de zéro… De plus, 41 % des principaux NFT ont un prix modeste compris entre 5 $ et 100 $, ce qui peut indiquer un manque de valeur perçue parmi ces actifs numériques.”
L’analyse souligne aussi l’importante consommation énergétique utilisée pour fabriquer des NFT aujourd’hui sans propriétaire. dappGambl envisage toutefois un avenir possible pour des NTF utiles et porteurs de véritable valeur loin de la spéculation. Selon ma propre analyse et même si l’acronyme NFT est assez générique pour englober un ensemble de technologies assez diverses, il est convenable que d’autres technologies plus solides et moins marquées puissent un jour remplacer les NFT.
/via l’article d’ArtNet “Your NFTs Are Totally Worthless” (Vos NFT sont totalement sans valeur) et l’infolettre de Molly White.
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Vous les avez peut-être ratées, Muzeodrome a compilé ces informations et ressources pour vous :
Protocoles | Projet à l’initiative de la Maison des métallos et d’hérétique, le Bureau des Méthodes (BdM) est un dispositif de diffusion de protocoles artistiques. “À rebours de l’optimisation imposée par le bureau des méthodes tayloriste, les protocoles du BdM se présentent comme des occasions de s’échapper de ses habitudes, de tenter des gestes nouveaux et de se donner matière à penser”. Le BdM propose chaque semaine un protocole à expérimenter et à partager (dans un groupe Telegram). Je vous en reparle plus en détail dans un prochain numéro de l’infolettre.
SIM | Situé à Suwon, à une trentaine de kilomètre de Séoul (Corée du Sud), le Samsung Innovation Museum (le SIM) raconte l’histoire de la marque coréenne, de son premier téléviseur en noir en blanc en 1972 aux smartphones actuels en passant par des curiosités. Le musée inscrit aussi la marque dans l’histoire des évolutions technologiques en présentant des pièces historiques dont un exemplaire de la bouteille de Leyde (1746) et un véritable télégraphe sans fil de Guglielmo Marconi - celui qui a été utilisé par l’inventeur pour la première transmission radio transatlantique en 1901. Reportage sur le SIM à découvrir dans le site frandroid.
Laboratoire d’empathie | Du samedi 16 septembre au vendredi 27 octobre 2023, le Centre Culturel Irlandais (Paris) présente Empathy Lab (ou « Laboratoire d’empathie »), une exposition de Colin Martin. Pour celle-ci le peintre s’est inspiré “d’un espace situé au sein des bureaux dublinois de Facebook, où les employés sont invités à exprimer leur empathie envers diverses causes par le biais des technologies”. Ses toiles figuratives explorent “l’ère numérique, en faisant référence à la science-fiction et aux futurs imaginés par les générations passées”. Pour le magazine Usbek & Rica, le journaliste Pablo Maillé a demandé à Colin Martin de commenter huit de des œuvres de cette exposition.
Maths | Après plusieurs années d’attente, la Maison Poincaré ouvre enfin ses portes le samedi 30 septembre 2023 ! Situé au cœur de Paris, le lieu propose une découverte de “l'influence des mathématiques sur notre société et dans notre quotidien”. Son slogan : “le lieu où les maths prennent vie”. Rappelez-vous, Muzeodrome vous avait parlé de “L’Oreille Mathématique”, le podcast de Maison Poincaré dans son n°65 en février 2021 (plus de 30 épisodes diffusés à ce jour).
Belles fesses | Vous connaissez peut-être les comptes Twitter/X ou Instagram @museumbums ? Mark Small et Jack Shoulder, les deux animateurs de ceux-ci, viennent de publier un ouvrage proposant un regard effronté sur les fesses dans l'art.
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Bravo, vous avez réussi à lire tout ce numéro 134 !
La suite au prochain numéro,
à tout soudain,
o m e r
Je suis Omer Pesquer - Spécialiste des {autres} numériques, j'accompagne les organisations culturelles pour stimuler et prolonger leurs rencontres avec leurs publics : idées - projets & prototypes - AMO - stratégies...
P.S.: Merci à Michel Kouklia pour la relecture de ce numéro.
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