Salut à tou·te·s,
Bienvenue dans Muzeodrome, l’infolettre inspirante qui vous plonge dans la créativité des musées et des espaces d’expositions.
En ces temps étranges et incertains, voici trois choses qui valent la peine d'être partagées avec vous cette semaine :
1) Retourner le regard ↪️👀
Les artistes apportent leurs approches spécifiques aux expositions en ligne. Elles·ils y proposent de nouvelles formes de monstration depuis fort longtemps (voir la notule 4 de Muzeodrome n°51).
“"Returning the Gaze" est une exposition interactive 3D en ligne qui aborde la notion de "regard" dans notre culture numérique contemporaine d'un point de vue psychologique, social et politique.”
Cette exposition collective en ligne, initiée par l'artiste et designer irano-américaine Behnaz Farahi, est imaginée comme un jardin où seraient plantées les graines de futurs en devenir, des graines pour “miner diverses formes de structure de pouvoir et promouvoir des formes de résistance”.
“L'idée derrière ce jardin est d'utiliser l'art et la technologie en combinaison avec la pensée critique pour transmettre un message critique puissant qui va au-delà de l'utilisation de la technologie comme une fin en soi mais pour initier une conversation sur ce que signifie être humain.”
“Can the subaltern speak?”, la proposition développée par Behnaz Farahi dans l'exposition, m'a particulièrement envoûté. Les systèmes d’interaction figurent au centre du travail de l'artiste, aujourd'hui basée en Californie. Ses sublimes masques robotisés, qui communiquent silencieusement en morse au travers leurs multiples yeux, proposent une expérience forte. Behnaz Farahi explique dans une vidéo de Culture Prime ses inspirations, sa démarche et ses intentions féministes.
/via @kcimc
2) Virtuelles, les visites ? 🤓😔
A l'occasion de la Nuit des Musées en ligne 2020 #NuitDesMuséesChezNous, j'ai eu le plaisir d'être interviewé par Benjamin Chapon 📰 , chef de service Culture & Médias de 20 Minutes France. Mes réponses à cet entretien téléphonique avaient pour vocation d'ouvrir les débats sur les médiations en ligne des musées.
Les "visites virtuelles", qui ont fortement été mises en avant par les médias lors du premier et de l'actuel confinement, étaient le sujet principal de cet entretien. Le titre de l'article résume mon point de vue sur celles-ci : “Être seul pendant sa visite virtuelle, c’est déprimant”. Un brin provocateur, j'indique aussi : "Pour être honnête, les visites virtuelles telles qu’elles sont en général proposées par les musées français, je n’y crois pas. Qui aime ça ? Connaissez-vous vraiment des gens qui ont fait ces visites virtuelles et qui ont été réellement satisfaits ?”. Je minore ensuite un peu cette déclaration.
Habituellement voici comment les "visites virtuelles" sont présentées : “Voir tableaux et sculptures dans leur environnement naturel sans bouger de chez soi, c'est quand même une bonne chose pour tous les amoureux d'art, non ?” (Sortir à Paris - 5 novembre 2020). Là est le problème, à mon sens. Les potentiels du numérique sont différents de ceux de l'univers physique. Le terme virtuel est par ailleurs à questionner dans les niveaux de simulation proposés par ces dispositifs. Si la captation en 3D d'un espace d'exposition a une importante valeur d'archive (surtout pour les professionnels), qu'en est-il des médiations proposées par les "visites virtuelles" et comment celle-ci accueillent-elles leurs visiteur/euse/s.
Dépasser les termes "visite" et "virtuelle" est nécessaire pour continuer d'inventer de nouveaux modes d’interaction et de nouveaux usages en ligne adaptés aux publics. Deux axes se dégagent pour répondre à ces questionnements et imaginer des évolutions :
Proposer les contenus d'une exposition en ligne sous d'autres formes (qui peuvent être des formes web classiques éditorialisées) ou des explorations en trois dimensions dépassant la captation à l'identique de l'exposition in situ.
Inclure une dimension sociale à ces dispositifs. Par exemple proposer des visites guidées (certaines sociétés commencent à en proposer) ou des activités à des heures définies dans ces espaces en ligne (J'avais ainsi questionné Emeline Parizel à propos du sketchnoting d’exposition virtuelle dans le n°22 de Muzeodrome - publié le 30 mars 2020) .
Je ne suis pas le seul à penser que l'heure est venue d'effectuer un bilan sur les expositions en ligne. En avril 2020, la spécialiste de l'art contemporain et de la culture numérique, Orit Gat, publiait dans Art-Agenda un article détaillé sur celles-ci en pointant leurs qualités et leurs défauts. Elle indiquait aussi :
“L'internet est déjà un espace de surproduction. Pour que les gens puissent se réunir, il faut commencer par ce que les institutions artistiques font déjà - en ligne ou hors ligne - et créer un espace où elles se rencontrent : ne pas se contenter de montrer la documentation vidéo préexistante d'une conférence ou d'un podcast enregistré il y a des mois, mais réfléchir à la manière dont on peut les revoir. Et ce n'est pas forcément temporaire. Il pourrait s'agir d'une façon de repenser l'accessibilité, l'archivage et la documentation. En gardant cela à l'esprit, alors que nous critiquons et réfléchissons à ces expositions en ligne, nous ne devons pas oublier la critique technologique qui a pris de l'importance au cours de la dernière décennie : il est essentiel de se rappeler que l'internet est un système de surveillance, une fuite de ressources écologiques, une préoccupation matérielle même s'il nous permet de nous divertir et de rester en contact.” Orit Gat in Art-Agenda
3) Dans les cuisines d'Alésia 🍗🔪
En contrepoint (ou pas) de mes propos sur les visites virtuelles, j'ai demandé à Michel Rouger de nous parler de l'exposition en ligne "Dans les cuisines d'Alésia". Après avoir créé et dirigé le musée de la Grande Guerre de Meaux, Michel Rouger est depuis quatre ans le directeur du MuséoParc Alésia en Bourgogne.
https://www.alesia.com/visite-virtuelle-expo/
La "visite virtuelle" des cuisines d'Alésia répond à quels objectifs ?
L’exposition devait ouvrir en avril 2020 ! Elle a finalement été ouverte fin juin, en plein dans notre réflexion post confinement sur la présence des musées en ligne. Et puis, un peu par hasard, arrive la rencontre avec Tetrazone et son concept d’expo virtuelle : nous avons été séduits et on s’est dit pourquoi pas ! C’était une bonne occasion de franchir le pas du virtuel, nous étions mûrs pour ça !
Celle-ci est destinée à quels publics ?
C’est le public cible du MuséoParc Alésia qui est visé : le grand public, le public familial, d’où une zone pour les enfants, avec des jeux.
Pourquoi avoir choisi un traitement en partie non réaliste ?
C’était tout l’intérêt : ne pas reproduire l’expo existante, mais créer une nouvelle expérience, complémentaire, dans un univers dédié. L’idée de partir d’une cuisine contemporaine et d'entrer dans les placards ou le frigidaire pour remonter le temps était assez décalée pour me plaire ! C’est à la fois une manière de donner envie de venir voir l’exposition sans la dévoiler complètement et pour ceux qui l’ont vue, une autre façon de retrouver les contenus, voire des bonus comme certains document ou reconstitutions d’intérieurs qui ne sont pas présentés dans l’exposition physique.
Quels sont les retours sur le dispositif ?
A priori, nous sommes le premier musée en France à proposer ce type de visite virtuelle, donc nous avons eu des retours comme quoi c’était innovant et original. Mais le point fort qui revient systématiquement, c'est la fluidité de navigation, ce qui nous avait également séduit initialement. Cela fonctionne visiblement bien auprès des plus jeunes qui prennent plaisir à explorer les différents univers.
Qu'est-ce qui ferait qu'une "visite virtuelle" soit meilleure ?
Avant toute chose, une bonne visite virtuelle doit déclencher la venue au musée ! Et ça peut être l’occasion d’oser faire ce qu’on ne ferait pas dans une exposition “normale” ! Je pense aussi que la visite virtuelle guidée en direct serait un vrai plus et c’est ce sur quoi nous travaillons avec l’équipe de médiation. A suivre donc !
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A tout soudain,
Omer Pesquer { https://omer.mobi/ }
Ps 1 : Ce numéro consacré aux "visites virtuelles" est plus court qu’habituellement. Cette semaine, j'ai été bien occupé par plusieurs projets dont l'opération #CeSoirJeSors lors de la nuit des musées en ligne 2020 - je vous en parle dans le prochain numéro de l'infolettre.
Ps 2 : Merci à @dr_kouk pour sa relecture de ce numéro et des précédents.