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👉 Dans ce numéro des mondes disparus, des data-visualisations, des chabots, un grand musée des ordinateurs, et plus encore…
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Des mondes disparus ou pas ? 🦖🥽
Du 14 octobre 2023 au 16 juin 2024, le Muséum national d'Histoire naturelle (MNHN) propose de plonger dans « Mondes disparus » : une expédition en réalité virtuelle qui s’appuie sur le savoir-faire technologique éprouvé de la société Emissive / Excurio («Éternelle Notre Dame» + «L’Horizon de Khéops») et sur des recherches scientifiques récentes validées par un comité scientifique mis en place par le Muséum.
L'expérience physique s'effectue avec un casque VR en déambulation dans un espace rectangulaire tout en longueur de 500 m2 au sein de la Galerie de Géologie et de Minéralogie du Jardin des Plantes (Paris). L’expérience immersive débute dans un futur, en 2223, lors d'une conférence sur l'histoire de la Terre. Là, les participant·e·s vont croiser leurs deux guides virtuels : Charlie, une jeune docteure en biologie de l’évolution et Darwin, un robot volant non dénué d’un certain humour.
"Alors que les participants à la conférence vivent – comme s’ils y étaient - la formation de la Terre il y a 4,5 milliards d’années, Darwin ne résiste pas et vole un drôle d’objet, une sonde capable de projeter toutes les personnes autour de lui dans le passé. C’est ainsi que le groupe se retrouve propulsé 3,5 milliards d’années en arrière. Les visiteurs et leurs guides vont alors entamer un voyage exceptionnel, sous les mers et sur les terres, rythmé de découvertes, de surprises et d’aventures hors du commun."
Extrait du Communique de presse du MNHN
Le voyage spatio-temporel qui dure 45 minutes s’effectue par bonds dans les temps géologiques en s’arrêtant dans des paléo-paysages : Archéen, Cambrien, Carbonifère, Jurassique, Crétacé, Éocène, Pléistocène, 2023. Puis il se termine à l’époque où il a commencé en 2223 (→ voir la bande annonce de l’”expédition immersive”).
Mon ressenti et mes interrogations :
(Attention à partir d’ici, je divulgâche des parties de l'expérience et de son scénario - je tiens de plus a spécifier que j’ai été invité par le MNHN et que j'ai effectué l’expérience seul, ce qui a retiré à celle-ci sa dimension sociale).
Tout d’abord, je n'ai aucun doute sur le succès de « Mondes disparus » auprès des publics, particulièrement les plus jeunes (le site du MNHN indique toutefois que l'expérience n'est accessible qu'à partir de 8 ans et conseillée à partir de 11 ans). Visuellement les scènes sont riches et détaillées: une centaine de végétaux et plus de 120 espèces animales ont été reconstituées scientifiquement pour ce projet d’envergure. L’avancement dans l’aventure est dynamique tout en donnant à chaque scène du temps pour la contemplation.
Je suis moins certain pour la transmission de connaissances - le volume d’information communiqué à un rythme rapide est assez conséquent. Néanmoins un dépliant papier distribué à l’issue de l’expérience complète celle-ci. De plus, ce document contient un QRcode qui pointe vers des contenus post-visites disponibles sur le site Web du Museum.
"L’ambition de cette fiction scientifique (et non de cette science-fiction) est d’être au plus près de notre histoire commune par le prisme de l’émerveillement et de faire du public, non un simple spectateur mais bien un acteur engagé dans l’expérience !"
Extrait du Communique de presse du MNHN
«Mondes disparus» était ma troisième expérience Excurio, ceci m’a rendu moins sensible aux astuces proposées dans le parcours (plateforme, couloir étroit, etc.). Je ne suis même surpris à volontairement ne pas éviter les obstacles et à les traverser. Globalement, je n’ai pas eu l'impression d’être acteur mais plutôt de suivre de case en case les actions des deux guides virtuels.
Le scénario de «Mondes disparus» s'inspire d’œuvres science-fictionelles (le personnage de Nyota Uhura dans Star Trek, le «chronogyre» de la série Au cœur du temps… ). Celui-ci joue avec les super pouvoirs technologiques que l'on trouvait pendant l’âge d’or de la science fiction, à l'époque du "Sense of wonder". Ainsi, le robot Darwin est en mesure de miniaturiser les objets et de donner à Charlie un pouvoir d'invisibilité temporaire. La mise en avant du merveilleux par le scénario, le traitement visuel, les lumières et la musique pose question.
Le paradoxe principal du scénario de «Mondes disparus» est que s'il était possible de voyager dans le continuum spatio-temporel, les vieux mondes ne seraient plus disparus car explorables (voir même exploitables). L’expérience développe un certain techno-optimiste qui s’avère renforcé par la vision classique du monde futur. Finalement ici, l’espèce humaine ne semble pas si fragile car elle conserve l’avantage grâce à ses innovations technologique. Cette fiction scientifique n’évoque d'ailleurs presque pas les extinctions massives précédentes alors qu'elles ont été cruciales dans l'histoire de l'évolution terrestre et qu'il est envisageable que l'espèce humaine soit la victime de la prochaine provoquée par elle-même ! (le documentaire "Nos mondes disparus" -2019- réalisé par Alexis de Favitski traitait de ce sujet).
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Créer de l’émotion avec données 📊💥
J’ai souhaité questionner Marthe Viallet sur son travail. Diplômée d'un Master en droit des finances publiques, Marthe rejoint en 2008 pour cinq ans le service du budget du Musée du Quai Branly. En 2015, elle découvre la data visualisation et elle se passionne pour ce domaine. Ce qui la pousse à entreprendre une formation en design graphique et data visualisation.
Depuis 2020, elle travaille comme commissaire d'expositions de visualisations de données indépendante. Elle est l'auteure de quatre expositions - dont les trois premières avec Florian Melki. Expositions abordant des sujets aussi variés que les crises sociales et environnementales (2022), les réseaux (2021), et plus récemment le sport en collaboration avec l'INSEP (2023) - Cette dernière a été présenté au Palais des Congrès de Paris et aux Journées du Patrimoine.
Marthe, qu'est ce que la data visualisation (dataviz) ?
Et pourquoi ton intérêt pour celle-ci ?
La data visualisation désigne la représentation graphique d'informations et de données. Elle vise à rendre les données plus compréhensibles en les présentant sous forme de graphiques, d'infographies, de cartes…Elle est aujourd’hui utilisée dans de nombreux domaines comme la science, le journalisme, l'art, etc. Nous sommes entrés dans l'ère des données.
J’ai ainsi découvert cet outil formidable qu’est la dataviz qui ne se contente pas de rendre limpide ce qui est abscons, mais possède le pouvoir de créer de l’émotion, des prises de conscience simplement par les formes et les couleurs.
Ponctuellement ou plus largement, que peut apporter la dataviz à un musée ?
Elle peut à mes yeux transformer l'expérience muséale en captant l’attention des visiteurs et facilitant la compréhension des sujets traités par les expositions (frises chronologiques, cartes, etc.).
Elle offre des options de connaissance alternatives au texte - cartels, livrets de visite - enrichissant ainsi les dispositifs de médiation existants. On vise donc aussi l’accessibilité.
Elle offre également aux musées de nouvelles façons de raconter des histoires et d'engager le public. Je pense à l’exposition “Aux frontières de l’humain” du Musée de l’Homme (2022) qui a collaboré avec l'INSEP. Dans cette exposition, un miroir magique révèle soudainement la silhouette imposante de Teddy Riner, nous permettant ainsi de comparer notre taille à la sienne. Cette expérience unique illustre parfaitement le potentiel captivant de la dataviz.
Tu as travaillé sur plusieurs expositions basées sur de la dataviz - peux-tu nous en dire plus ? Quelles ont été les réceptions de celles-ci par des publics ?
J’en ai conçu quatre, portant sur des sujets variés tels que les réseaux, l’urgence sociale et environnementale et le sport.
Mon parti-pris est d’élever au rang d'œuvres des data visualisations impactantes et significatives par leur design. Je veux créer de l’émotion, de l’émerveillement, de la surprise. Ce sont des graphiques mais qui peuvent ressembler à tout autre chose.
Certains sujets, tels que le changement climatique, suscitent souvent des réactions émotionnelles et des prises de conscience, tandis que d'autres plus ludiques informent tout en amusant.
Pour finir ce court entretien, aurais-tu des exemples d'utilisation particulièrement ingénieuse de la dataviz par des musées ou des organisations culturelles ?
Je pense au MoMA qui a fait appel en 2017 à la designer italienne Giorgia Lupi pour créer une data visualisation lors de l'exposition sur la mode “Is Fashion Modern?". Les visiteurs ont pu voir grâce à la data visualisation comment des pièces de mode emblématiques ont évolué au fil du temps. La visualisation a été présentée comme la pièce de clôture de l'exposition, imprimée sur trois immenses murs !
→ Retrouvez Marthe Viallet sur LinkedIn - Behance - X et Instagram.
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Des chatbots et des musées 💬🏛️
Si je vous posais la question : à partir de quand les musées ont-ils utilisé des chatbots? Vous me direz probablement que ceux-ci sont là depuis moins d’une décennie. Et pourtant, un des tous premiers chatbots de musée va fêter ses 20 ans en 2024.
En 2004, en tant que guide virtuel du musée, « MAX », l'avatar chatbot du Heinz Nixdorf MuseumsForum, accompagnait les visiteurs dans une exposition. Cette information est issue d’une page du site web du ZKM | Center for Art and Media (Karlsruhe, Allemagne) qui présente une chronologie de l’histoire des chatbots de musées de 2004 à 2015 (avec des propositions diverses provenant d’Europe, d’Amérique du Nord et du Sud).
Ce n’est pas un hasard si un des premiers chabots de Musée a vu le jour au Heinz Nixdorf MuseumsForum (HNF). Situé à Paderborn (Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Allemagne), le HNF est un des plus grands musées de l’informatique au monde. Son histoire est lié à celle de Heinz Nixdorf (1925-1986), pionnier allemand de l'informatique et fondateur de l’entreprise Nixdorf Computer AG.
“A l'occasion des 25 ans d'existence de Nixdorf Computer AG en 1977, Heinz Nixdorf reçoit d'anciennes machines de bureaux des marques Wanderer, Exacta, Astra, etc. en guise de " cadeaux d'anniversaire ". Il lui vient ainsi l'idée de collectionner des appareils informatiques en vue de créer ultérieurement un musée de l'entreprise ou de l'ordinateur.” Histoire du HNF
Les années suivantes Heinz Nixdorf continue de travailler sur le projet et fait grossir sa collection. Mais avant que son grand projet de musée de l’informatique ne voit le jour, il succombe d'un infarctus lors du salon informatique CeBIT de Hanovre en mars 1986. La fondation Westfalen qu’il avait créée a ensuite continué de porter le projet et l’a mis sur pied. Le 24 octobre 1996, le Heinz Nixdorf MuseumsForum a été inauguré par le Chancelier fédéral Allemand Helmut Kohl.
“Le musée Heinz Nixdorf MuseumsForum (HNF) à Paderborn vous invite dans un univers de découvertes et d’expériences ! Sur une surface de plus de 6000 m carrés, apprenez l’histoire, le passé et le futur des technologies de l’information, des premiers caractères d’écriture aux premiers ordinateurs et aux robots, en passant par les machines à écrire et les calculatrices.”
Page d’accueil de la version française du site Web du musée
Le HNF, qui accueille environ 100·000 visiteuses et visiteurs par an, propose une impressionnante collection permanente (voir ici, 54 de ses pièces maitresses - dont une réplique du Turc Mécanique).
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Vous les avez peut-être ratées, Muzeodrome a compilé ces informations et ressources pour vous :
Des espèces super exotiques ? | Pour prolonger la première notule de ce numéro (“Des mondes disparus ou pas ?”), vous souvenez-vous de ce tweet fortement techno-optimiste de Max Hodak : “Nous pourrions probablement construire un Jurassic Park si nous le voulions. Ce ne serait pas des dinosaures génétiquement authentiques mais 🤷. peut-être 15 ans de reproduction + ingénierie pour obtenir de nouvelles espèces super exotiques”. Tweet publié le 4 avril 2021, soit quelques jours avant l’annonce de son départ de Neuralink, la société qui développe des implants cérébraux d'interfaces directes neuronales dont il avait été un des cofondateurs avec Elon Musk.
Troubles de l’identité humaine | Le Singapore Art Museum (SAM) présente jusqu’au 25 février 2024, l’exposition Proof of Personhood (Preuve de personnalité) qui explore les relations instables entre l'identité et l'authenticité dans une monde irriguée par des technologies émergentes - dont les intelligences artificielles. Une partie du texte de présentation de celle-ci est vraiment intéressante à mon sens : “En tant qu’humains, nous avons tendance à projeter notre propre image, notre physiologie et notre psychologie sur les systèmes technologiques pour tenter de mieux les comprendre, un processus qui reproduit souvent les préjugés sociétaux.” (Pour en découvrir plus sur l’exposition, lire cet article en anglais publié par straitstimes.com).
Le tunnel du temps | Un peu plus haut, je vous parlais de la série Au cœur du temps… Le titre originel de cette série de trente épisodes, diffusés pour la première fois de 1966 à 1967 aux États-Unis, était “The Time Tunnel“. En Malaisie, aux Cameron Highlands, il existe depuis 2007 un petit musée qui porte ce nom (Time Tunnel Museum). Celui-ci propose de revenir dans le temps au travers plus de 4 000 souvenirs et objets de collection. Voir ce reportage photo du blog Malaysian Flavours sur le musée.
Retour au musée des Augustins | Dans le n°132 de l’infolettre, j’avais interviewé Laure Dalon sur la mobilisation de la bande dessinée pour accompagner l’ouverture exceptionnelle en 2023 du musée qu’elle dirige. Le lundi 16 octobre, après 120 jours, ce havre de paix en plein centre-ville de Toulouse a refermé ses portes. Il ne rouvrira qu’en 2025. Entre deux phases de travaux, cette réouverture a été un beau succès avec la venue de plus de 133·000 visiteuses et visiteurs. La Dépêche du Midi ajoute dans un article qu’un tiers de celles et ceux-ci ne connaissait pas le musée auparavant.
Au centre de la communauté et au-delà de l’humain | Le 6 septembre 2023, Emanuele Quinz, professeur à l'Université Paris 8 et à l’École nationale supérieure des arts décoratifs, publiait dans Libération une tribune qui proposait de repenser la fonction sociale des musées. Tribune qui se terminait par les mots suivants : “Le musée, espace non consensuel mais radical, appartient à la communauté, car il est le chantier de la communauté à venir. Aussi au-delà de l’humain.“
Blanquet - d'hier à aujourd'hui | En août 2020, dans le numéro 41 de l’infolettre, je vous ai déjà parlé de mon ami Stéphane Blanquet alors que celui-ci exposait à la Halle Saint-Pierre (Paris). En ce moment, sur Ulule, il est possible de participer au financement d’un livre-somme de plus de 300 pages consacré aux explorations singulières de cet artiste plasticien et éditeur (souvent qualifié d’hors-normes) → “Durant près de cinq années Alla Chernetska, historienne de l'art, docteur en histoire de l'art (Université Paris I Panthéon Sorbonne) et collaboratrice de longue date à Raw Vision magazine, a travaillé avec l'artiste, puisé dans ses archives et recherché en France et à l'étranger des images rares et inédites”.
𝕏 | Semaine après semaine, il était de plus en plus difficile de persister. Cela devait donc finir par arriver, Muzeodrome n’est plus actif dans X (autrefois Twitter). Pour continuer de suivre le projet - rendez-vous ici, dans Linkedin, dans Mastodon et du coté de omer.mobi.
Dans l’erreur | Avez-vous déjà vu les pages “erreur 404” des sites Web de la National Portrait Gallery (Londres, Uk) ou du Nexon Computer Museum (Jeju-do, Corée du Sud)? Probablement non. J’envisage de faire renaitre le projet Museum404 dans les prochains mois (hors de Twitter/X et dans un espace Web de mon site). Mais je ne suis pas certain de l’intérêt de l’idée - qu’en pensez-vous ?
Bientôt 4 ans [Rappel] | En novembre 2023, Muzeodrome fêtera ses quatre ans 🎂🎂🎂🎂. Le numéro 137 marquera cet anniversaire. Celui-ci ne sera pas publié un mercredi mais le samedi 4 novembre - jour anniversaire du premier numéro.
▛
Bravo, vous avez réussi à lire tout ce numéro 136 !
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La suite au prochain numéro… à tout soudain,
o m e r
Je suis Omer Pesquer - J'accompagne et conseille les organisations dans leurs redirections vers d'autres numériques : idées - projets & prototypes - formations - stratégies...
P.S.1: Merci à Michel Kouklia pour la relecture de ce numéro.
P.S.2: Le titre de ce numéro aurait pu être “les paradis qu'on a perdus”, mais je ne suis pas Marcel Proust.
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