Salut à toutes et tous,
Bienvenue dans muzeodrome, l’infolettre et le site qui vous plongent dans la créativité et les {autres} numériques des musées et des espaces d’expositions en établissant des ponts entre le passé, le présent et les futurs.
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► Dans ce numéro 147 de l’infolettre, je vous invite à la découverte d’un inventeur-bricoleur hors norme et d’une vulgarisatrice de la mort. Vous me suivez ?
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L’inventif Roland Moreno
En cette année 2024, nous fêtons les 50 ans de la création du prototype de la carte à microcircuit, dite carte à puce. Suite à un don, le Musée national d'art moderne du Centre Pompidou (Paris) expose dans une de ses salles du 3 juin au 2 septembre une sélection d’inventions et de documents de Roland Moreno (1945-2012), le concepteur de la carte.
”Au Musée national d'art moderne, un tout nouvel accrochage rend hommage à cet inventeur iconoclaste et permet aux publics de se plonger dans son univers où se croisent technologie et poésie. C’est grâce à ses deux filles, Marianne Moreno et Julia de Rouvray, que certaines des plus emblématiques machines de Roland Moreno sont entrées au Musée national d'art moderne. Il s’agit d’un don important pour l'histoire de la création industrielle…”
Extrait de l’article intitulé “Le fabuleux destin de Roland Moreno, l'inventeur de la carte à puce” - un article écrit par Séverine Pierron pour le magazine web du Centre Pompidou.
L’année de ses 11 ans, la mère de Roland Moreno lui offre un kit d’initiation à l’électronique sous la forme d’un poste à galène à monter. A 18 ans, il dépose son premier brevet. Alors qu’il n’a que 23 ans et qu’il gagne sa vie en passant d’un métier à un autre, la télévision frappe à la porte de son appartement-laboratoire. Dans un reportage volontairement foutraque du duo Gérard Sire et Jean Yanne, il dévoile ses premières inventions: le «Pianok» (mini piano électronique à 8 notes), la «Matapof» (machine électronique à tirer à pile ou face), le «Saute-allumette» (agitateur utilisant la membrane d’un haut parleur)… Des machines “ludiques, voire absurdes” qui “ouvrent une réflexion sur les notions de désordre, de hasard et d’entropie.” (source : Centre Pompidou). Dans ce reportage télévisé, il présente aussi un “oiseau électronique” :
“Il y a des gens qui aiment le chant des oiseaux et qui supportent pas les inconvénients des oiseaux […]. Alors j’ai inventé cet oiseau. Cet oiseau qui est très propre, qui est réglable […]. Enfin, cela a un avantage aussi, c'est que le bruit est toujours le même […]. Alors donc (si vous voulez) à terme cela devient un bruit familier qui s'inscrit dans le cadre domestique […].” Roland Moreno (1968)
Inspiré par la créativité du jeune homme, le cinéaste Claude Sautet reprend la tirade de l’oiseau électronique et la figure du “hobbyiste” (du geek) à la fois désinvolte et philosophe dans son film Les Choses de la vie (tourné en 1969).
En 1972, Roland Moreno co-fonde un atelier de créativité expérimentale et appliquée qui est ensuite transformé en une société destinée à « vendre des idées » Innovatron. En 1974, plus exactement le 9 mars, il dévoile le prototype de sa future grande invention : la carte à puce (voir la seconde notule de ce numéro). Ensuite, pendant toute sa vie, jusqu’à sa mort en avril 2012, il continue d’explorer son inventivité au travers de nombreux développements autour des cartes à puce (la télécarte fut un énorme succès) et d’autres créations plus ou moins sérieuses.
Les réalisations les plus industrielles de Roland Moreno comme la télécartes ont été portées par la “loi de Moore” (voir le n°145a de l’infolettre) et l’explosion du plastique jetable. Mais ce qu’il avait de vraiment remarquable chez lui, au delà de ses réussites et de ses échecs, c’était son coté bricoleur capable de fabriquer ou d’inventer quelque chose avec ce qu’il avait à portée de main (voir dans l’exposition au Centre Pompidou le microscope qu’il avait réalisé en 1984 à partir de pièces de Meccano).
Les deux ouvrages Théorie du bordel ambiant (publié en 1990) et sa suite permettent de mieux comprendre la façon particulière qu’avait Roland Moreno de voir et de jouer avec le monde. Hors du “chemin institutionnel de l’innovation tout tracé”, ses travaux et réflexions ont ouvert de nombreuses routes, parfois farfelues. Dans le “bordel ambiant“, certaines de ces routes doivent continuer à être explorées.
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La bague d’identification
Le quasi-autodidacte Roland Moreno (1945-2012) n’avait conçu que des objets “inutiles” (voir la première notule de ce numéro) avant de cheminer vers ce qui allait devenir sa grande invention : la carte à puce.
Fin janvier 1974, en lisant la revue Électronique-Hebdo, il découvre l’existence des PROM (Programmable Read Only Memory), des mémoires électroniques qui ont la propriété de ne pouvoir être programmées qu'une seule fois et qui conservent l'information enregistrée sans apport d'énergie. Dans son sommeil ou en fumant un joint, il a alors l’idée d’une “Bague Bancaire” (BB) qui serait une clé d’identification pour ouvrir la porte d’un coffre informatique.
”Étant donné les propriétés des semi-conducteurs, ma clef sera rigoureusement incopiable, inforgeable, insusceptible de reproduction. En outre, avec sa PROM montée sur un anneau (bague ou chevalière), le porteur est sûr d'avoir toujours sa mémoire sur lui, sur son corps même, quelles que soient les circonstances y compris baignade, douche, etc.”
Extrait de “Carte à puce, l’histoire secrète” (2002) de Roland Moreno
Pour son prototype, l’inventeur-bricoleur colle la mémoire programmée de la PROM contenant un code sur une chevalière. Début mars 1974, il présente devant une vingtaine de “banquiers” sa “bague électronique“ avec son imposant dispositif de lecture (qui était la partie la plus complexe du dispositif). Lors de cette présentation, les “banquiers” sont enthousiastes. Toutefois l’un deux émet la remarque que le choix d’une bague comme clé électronique fait trop science-fiction. Ainsi la “Bague Bancaire” restera un prototype et l’invention de Moreno ira s’implanter dans un autre support : une carte en plastique au format “standard”.
Avant la réalisation de ce prototype, Roland Moreno avait bien lu quelques textes de science-fiction, mais peu d’ouvrages du genre étaient à son goût. On peut encore lire que l’idée de la bague lui serait venue du roman de science-fiction La nuit des temps (1968) de René Barjavel. Moreno l’avait vertement démenti en indiquant que si son inspiration venait de la science-fiction, elle aurait été induite par un autre roman : Croisière sans escale (1958 - titre original : Non-Stop) de l'écrivain britannique Brian Aldiss (1925-2017). Dans son démenti, Moreno précisait :
Qu’”Un des principaux personnages portait au doigt une bizarre bague, grâce à laquelle il pouvait desceller certains points de certaines cloisons, pénétrant ainsi à volonté dans tels et tels lieux connus comme inaccessibles. Bref, sa bague faisait clef…”
Dans un strip en deux cases, publié en juin 2023 par le NewScientist, le cartooniste britannique Tom Gauld montrait formidablement bien comment des objets peuvent passer de la science fiction à une réalité technique :
Dans la première case - un écrivain de science-fiction présente sa dernière production à son éditrice : “Mon roman est un récit édifiant sur le capitalisme et les conséquences de créations technologiques puissantes sans tenir compte de leurs implications morales.“
Dans la seconde case - un dirigeant d’une entreprise de la tech tient dans la main le roman de l’écrivain de science-fiction et clame à ses employés : “Hé les mecs ! Ce roman est trop cool ! Construisons certains des trucs qu’il présente !“
En 2020, l’auteur français de science fiction Alain Damasio reprenait l’idée d’une bague d’identification dans son roman “Les Furtifs”.
”Dans la France de 2040, la surveillance est totale, les riches écrasent davantage les pauvres et les grandes villes sont privatisées : Paris par LVMH, Cannes par Warner et Orange par Orange. Chaque Français porte une bague où sont numérisées toutes ses données personnelles.”
Extrait du résumé du roman “Les Furtifs“ par Jérôme Garcin pour France Inter.
la bague de Damasio sera-t-elle une source d’inspiration pour un·e dirigeant·e d’une entreprise de la tech ? Les pronostics sont lancés…
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La question complémentaire :
Plus de remarques sur cette question ? N’hésitez à écrire un commentaire 💬
La question du précédent numéro (le 146) était : “Les musées devraient-ils montrer plus à leurs publics leurs actions face au changement climatique?“ Vous êtes 93% à avoir répondu “OUI”, 2% à avoir répondu “NON“ et 5% à avoir répondu “PEUT-ÊTRE” (résultat pour 43 votants). Maintenant, reste pour les musées à trouver comment ils pourraient plus fortement montrer leurs engagements face au changement climatique…
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Le Bizarreum est ici !
Juliette Cazes vulgarise depuis 2017 la mort sous plusieurs aspects. Diplômée en archéologie, anthropologie, tourisme et même dans le domaine des pompes funèbres, Juliette mène des recherches en thanatologie. Elle est aussi l’autrice de quatre ouvrages : Funèbre ! Tour du monde des rites qui mènent vers l'autre monde (Éditions du trésor, 2020), Momies ! Corps conservés à travers le monde (Éditions du trésor, 2020), Cabinet de curiosités insolites, médicales et macabres (Dunod, 2023) & Abécédaire illustré des mots de la fin, co-écrit avec Hugo Blanchet (Atelier Perrousseaux, 2024)... Cela faisait un moment que je souhaitais l’interviewer dans muzeodrome - c’est chose faite ci-dessous.
Bonjour Juliette, tu effectues des recherches indépendantes en thanatologie. Qu'elles sont tes dernières découvertes ?
Dans le domaine de la mort, on n'invente rien, néanmoins, mes axes de travaux étant assez variés, mes travaux actuels se concentrent une méthodologie de prise en charge des corps très abîmés pour les agents de chambre funéraires, et d'ici peu un déplacement au Rajasthan et à Varanasi pour observer les crémations locales.
Sous l'étiquette "Le Bizarreum", tu publies du contenu en ligne depuis mai 2017 (Vidéos YouTube, Billets de Blog, Podcast). Beaucoup de personne te connaissent d'ailleurs sous ce nom. Peux-tu nous en dire plus ?
C'est la contraction de "Bizarre" et de "Museum", initialement je présentais l'archéologie et l'histoire funéraire au grand public, puis mon parcours professionnel et de recherche m'a permis d'élargir mes horizons.
Plusieurs de tes vidéos dans Youtube sont des succès pour des contenus documentaires, dernièrement celle intitulée "Cannibalisme et premiers colons d'Amérique du Nord | Anthropologie biologique". Pourtant pendant quelques mois tu avais arrêté de publier dans la plateforme ?
J'étais fatiguée de publier une vidéo par mois depuis presque 5 ans, je ne gagne pas d'argent avec mes vidéos et surtout j'ai une vie à côté ! Face à la montée en puissance de Tik Tok, j'ai choisi de faire l'inverse : créer moins mais j'espère mieux. Et puis, j'ai surtout mis l'accent sur l'écriture de mes livres.
Quelles missions réalises-tu pour les musées ?
Elles sont variées, les plus courantes sont des conférences pour le grand public. Néanmoins j'ai déjà été appelée pour compléter des contenus d'exposition, mais aussi donner des conseils autour de la question de la présentation de restes humains. Dernièrement, au musée de Bretagne, j'ai guidé la visite de l'exposition Mourir quelle histoire ! à travers mon regard.
Si un musée te donnait carte blanche pour monter une exposition, quel serait le projet que tu souhaiterais porter ?
J'aimerai un jour pouvoir faire officiellement partie d'un comité scientifique car mon nom ressort souvent en remerciements d'exposition de par mes travaux ou conseils, mais ma position est par conséquent frustrante. si j'avais une telle possibilité, j'aimerai beaucoup travailler autour des rites funéraires bien entendu !
Aurais-tu une ressource singulière et essentielle à nous partager ?
Singulière peut-être, essentielle pas forcément, mais j'aime entretenir des liens avec des baroudeurs de la mort comme le photographe Klaus Bo ou le média Hunting Asia.
Pour terminer cet entretien, si je te dis mort et numérique, tu penses à quoi ?
Un sujet qui me fatigue d'avance ! Il y a quelques années on a commencé à en parler, surtout autour de IA dans la prise en charge du deuil et les deadbot (on a fait un épisode dessus pour le Quai des Savoirs). Compte tenu du manque de mesure des gens avec les nouvelles technologies, je pense que dans mon domaine de travail ça va être l'enfer et surtout... un grand vide juridique !
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Lu, vu, entendu ⚡
Vous les avez peut-être ratées, muzeodrome a compilé ces informations et ressources pour vous :
Des musées engagés | “Dans le contexte actuel de banalisation des discours de haine et de risque de stigmatisation d’une partie de la population française”, plus de vingt musées, d’art, d’histoire, de société et lieux de mémoire, présents sur l’ensemble du territoire national français se sont réunis fin novembre 2023 pour constituer les fondements d’un réseau de musées engagés. Extrait du communiqué des musées engagés (juin 2024): "Les musées publics ont non seulement un rôle social mais aussi une responsabilité dans la formation des consciences citoyennes. Si chaque jour nous cherchons à élargir nos publics, à renforcer l’accueil des scolaires et des personnes les plus éloignées de la culture, c’est parce que notre vocation est d’être des espaces ouverts, de dialogue et de reconnaissance de nos identités plurielles. Nous ne sommes pas des lieux militants, mais nous ne sommes pas non plus des lieux neutres, coupés du contexte social dans lequel nous agissons…".
Lorsque vous irez voter pour le second tour des législatives 2024, imaginez bien le futur porté par votre bulletin. Si nous n’y prenons pas garde, l’espace culturel français pourraient basculer vers d’autres “valeurs”.
Nouveau Centre | “Respect de l’existant - Activation et requalification des espaces -Porosités physiques et visuelles - Évidence des parcours” - le Centre Pompidou a dévoilé son projet de rénovation pour sa réouverture en 2030. À l'issue d'un concours d'architecture pour la maîtrise d'œuvre du volet culturel, ce projet est confié à l'agence Moreau Kusunoki, associé à Frida Escobedo Studio, designer.
NØ | NØ RETURN est un festival international qui explore de nouvelles connexions entre art, culture et technologies. Ce festival se déroule à Nevers (Bourgogne-Franche-Comté) en parallèle de la NØ SCHOOL NEVERS, une université d’été dédiée à l’art numérique. Sa 5ème édition aura lieu du 12 au 14 juillet 2024. Un projet porté par le collectif NØ.
Point de vue | “Dans le cadre du projet de recherche Women of Rijksmuseum, le Rijksmuseum organise cet été [2024] l’exposition «Point of View», qui explore les idées sur le genre en Europe occidentale du XVIe au XXIe siècle à travers 150 œuvres issues de ses propres collections.
Les innovations ont-elles un genre ? | La chercheuse Marion Coville explore cette question dans une keynote présentée à Lyon en avril lors de MIXIT 2024 (la conférence pour l'éthique et la diversité dans la tech - avec des crêpes et du cœur) . Voir la captation de celle-ci (vidéo de 38 minutes).
Moreno encore | Dans le cadre de la société Innovatron de Roland Moreno (voir les notules 1 & 2 de ce numéro) avait conçu le «Radoteur», un logiciel capable de créer de nouveaux mots et des noms de marque “qui sonnent bien” ! Pour celles et ceux qui ne le savent pas encore, j’ai moi même conçu un générateur de pseudo-mot en 2009 - générateur qui a pour nom MotBot (et qui fonctionne toujours ;-) ).
Plein de puces (et d’idées) | Le début du titre de ce numéro de l’infolettre m’a été inspiré par un fragment de l’introduction du livret de l’exposition “Carte à puce. Une histoire à rebonds“ (présentée au Musée des arts et métiers de Paris du 30 juin 2015 au 3 janvier 2016).
“Nous sommes tous pleins de puces, et nous ne le savons plus. Elles ne bougent pas, ne crient pas mais font tout le travail : sortir l’argent des distributeurs, ouvrir les portes, animer les téléphones.” Yves Winkin
Pique-nique muzeodrome - été 2024 | A l’époque de Muzeonum, j’organisais chaque été des pique-niques avec la dynamique communauté des museogeeks. J’ai eu envie de renouer avec ces diners sur l’herbe et je vous propose de me rejoindre lors d’un pique-nique muzeodrome à Paris le jeudi 11 juillet 2024.
Informations et inscription sur la page événement…
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Voila, c’est déjà la fin de ce numéro 147 ! Avant de partir, n’oubliez pas de donner votre avis au travers d’un gentil message, d’un commentaire ou d’un simple appui sur le 💜.
Cette publication est publique, n'hésitez pas à la partager. Muzeodrome est un projet totalement indépendant - le soutenir → c’est s’engager pour qu’il dure.
à tout soudain,
o m e r
Je suis Omer Pesquer, consultant indépendant. Avec des approches inventives, j’accompagne les organisations culturelles dans leurs déploiements d’{autres} numériques pour tisser et consolider leurs rencontres avec leurs publics.
Site Web ⁓ LinkedIn ⁓ Mastodon/ / → annonce ← / /
- Comment se positionne aujourd'hui le site Web de votre organisation culturelle ?
- Est-il toujours adapté aux usages et besoins de ses visiteurs ?
- Quel est son impact écologique ?
Si vous vous posez une de ces trois questions, c'est que vous avez besoin de faire le point sur votre site Web. C'est ce que je vous propose au travers d'un audit conçu spécifiquement pour les sites Web culturels :
→ Je vous explique tout dans une page de mon site.
P.S.: Merci à Michel Kouklia pour la relecture de ce numéro.
il y a un projet en cours et même plusieurs : un Aerosol a saint denis qui sera aussi un musee du hip hop avec une collection. d'autres espaces sont en cours d'ouverture à Toulouse et Marseille.
Un grand merci Omer pour ce nouveau numéro de Muzeodrome qui fut une nouvelle fois encore très enrichissant !
Dommage que le pique-nique du 11 juillet se déroule à Paris et que les provinciaux tels que moi ne puissent s'y rendre ! Cela aurait été avec grand plaisir.