Salut à toutes et tous,
Bienvenue dans muzeodrome, l’infolettre et le site qui vous plongent dans la créativité et les numériques des musées et des espaces d’expositions en établissant des ponts entre le passé, le présent et les futurs.
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► Ce numéro 151 de l’infolettre parle principalement de publics en ligne, des publics humains mais aussi non humains !
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Des visiteurs non-humains
Avertissement : en lisant cette notule, votre regard critique sur les statistiques des sites Web risque de changer !
Pendant les confinements alors que nous étions bloqué chez nous, le réseau Internet nous permettait de maintenir les contacts et de continuer d’explorer le monde.
”Globalement, les statistiques montrent que les sites Internet d’institutions culturelles ont connu des records de fréquentation pendant cette période. La presse s’est fait l’écho des 8,4 millions de visites sur le site Internet du Louvre entre le 12 mars et le 21 avril [2020].”
Extrait du numéro 40 de la lettre d'information du bureau de la diffusion numérique des collections (Service des musées de France, Direction générale des patrimoines, Ministère de la Culture)
Depuis plus de quinze ans, j’assiste et participe régulièrement à des conférences consacrées aux musées en ligne. Dans les diapositives présentées par les intervenantes et intervenants, il n’est pas rare de voir afficher une quantité mensuelle ou annuelle de visiteurs en ligne.
Mais tous ces visiteurs sont-ils humains ? Drôle de question me direz-vous. En fait, elle n’est pas vraiment drôle, elle interroge pour quels "publics" les musées produisent aujourd’hui des contenus en ligne : des hommes ou des machines ?
Le trafic web non humain provoqué par les bots logiciels n’aurait cessé d’augmenter ces dernières années. Selon le Bad Bot Report 2024 d’Imperva, il serait maintenant de 50% (selon Akamai Technologies il atteindrait même les 70%, laissant 30% au trafic humain).
On peut classer ces bots en trois catégories :
les “gentils” (Good Bots) → par exemple ceux des moteurs de recherches qui indexent les sites de la grande toile mondiale (il y aurait aujourd’hui environ deux milliards de sites Web dans le monde et certains musées présentent plusieurs dizaines ou centaines de milliers de pages dans leur portail de collections). Cette indexation permettant ensuite à un internaute de trouver assez facilement ce qu’il cherche parmi des milliards de pages.
les “méchant”s (Bad Bots)→ par exemple ceux qui cherchent des données pour les vendre/louer dans le dark web ou d’autres qui cherchent des failles pour pirater les sites qu’ils visitent (le nombre de cyberattaques ne cessent d’ailleurs d’augmenter - par exemple pendant les JO 2024, le Grand Palais et 40 musées ont été victimes d’une attaque par rançongiciel).
les “agents-doubles” → par exemple ceux qui collectent des données nécessaires à l’apprentissage des IA génératives. Ou encore ceux qui sont spécifiquement conçus pour augmenter artificiellement le nombre de visiteurs d’un site Web en imitant des comportements humains (les Traffic bots). En passant, j’espère qu’aucun musée public ou privé ne fait appel à ces derniers.
L’intense trafic provoqué par ces bots entraine de fausses statistiques et une consommation du réseau beaucoup plus grande (en énergie, matériel et eau). Il est probable et déjà regrettable que le trafic des bots augmente encore dans les années à venir avec la grande disponibilité des IA génératives et des outils d’automatisation.
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En direct avec des humains
J’ai rencontré par la première fois Sabine Pasdelou, en juin 2012, lors d’un événement organisé par Sévres-Cité de la Céramique (pour qui je travaillais régulièrement à l’époque). Le 24 novembre 2024, j’ai eu le plaisir de co-animer avec elle un atelier intitulé “Comment communiquer autrement ?” lors de la journée d’étude “Valorisation des collections muséales en ligne : enjeux et outils de communication“, organisée au Musée départemental Breton de Quimper (29) par le réseau Bretagne Musées. Historienne de l’art de formation, Sabine Pasdelou a soutenu une thèse de doctorat qui portait sur la réception des arts asiatiques dans le domaine des arts de la table en France aux 19e-20e siècles.
Sabine, peux-tu nous parler un peu de ta thèse et ce que tu as fait ensuite ?
Ma thèse m’a permis de travailler sur le japonisme, l’asiatisme plus globalement, et sur la manière dont les industries se sont intéressées sur la production de produits de demi-luxe dans le cadre de l’épanouissement de la nouvelle classe moyenne.
Comme mon sujet traitait de la construction de la valeur d’un produit, sa distribution commerciale et l’importance du storytelling de la part des industriels, j’ai ensuite été contactée par des Business schools et des écoles spécialisées dans le luxe pour y donner cours.
L’année de ma soutenance de thèse, en 2018, j’ai créé une agence de communication numérique avec mon mari : Les Forges du Web. Aussi en 2018, j’ai commencé à créer des vidéos pour YouTube (des vidéos de conseils pour les diplômés ou sur l’histoire de l’art). En février 2020, j’ai lancé une plateforme de cours vidéo en histoire de l’art et du luxe : Au Bonheur des Arts.
Puis la crise sanitaire de 2020 est arrivée…
Pendant la crise, je devais donner les cours en visio. Ce qui a été très pénible car je sentais l’absence totale d’interaction avec les étudiants. Ayant face à moi une mosaïque de carrés noirs et ma voix pour seule compagne, je me suis dit qu’il était temps soit d’arrêter l’enseignement, soit de faire autre chose. Aimant les jeux vidéo, je voyais le potentiel de Twitch et la diversification de ses contenus. Aussi, je me suis dit : pourquoi pas moi ? J’ai commencé à utiliser la plateforme pour transmettre autrement. Je me plais plus dans le live que dans la vidéo scénarisée, notamment parce que cela implique de l’improvisation et des compétences en prise de parole.
Lors de tes directs en ligne (live), tu proposes des activités variées : interviews d’artistes et de professionnels - visites de lieux culturels et d’expositions virtuelles - quiz culturels et historiques - créations de contenus…
Je ne voulais pas m’adresser uniquement à des personnes convaincues, je voulais montrer que la culture et l’histoire de l’art ne sont pas des disciplines élitistes et ennuyeuses. Mon but est de susciter la curiosité et de montrer une image plus décomplexée de ce monde. Ainsi je fais des parties de jeux vidéo en ligne, déjà car cela me plaît en tant que joueuse. Cela me permet aussi une approche plus relationnelle afin de convaincre de me suivre sur d’autres lives, eux axés culture. Lors de ces lives culture je fais aussi participer au maximum le public : rédaction de contenu Wikipédia, création de contenus, création d’exposition virtuelle ou de jeu vidéo (avec l’outil RPG Maker qui permet de créer un jeu sans connaissance approfondie du code).
Quels sont les retours de ta communauté ?
Les retours de ma communauté sont globalement encourageants. J’ai été notamment frappée de savoir que certains membres de ma communauté étaient en situation de handicap. Sur Twitch, il est d’usage de parler avec les spectateurs. Les personnes en situation de handicap me confient ainsi leur frustration sur les retards en équipement des musées pour leur permettre d’accéder aux salles.
J’ai aussi un public venant de l’univers gaming peu habitué à se rendre en musée. Certains ont eu des coups de cœur pour certains artistes et franchissent enfin les salles de musée, ce qui est toujours émouvant pour moi .
Pour finir cet entretien, peux-tu nous parler de ce que tu appelles les UGCC ?
Les UGCC sont les User Generated Cultural Content, c’est-à-dire des contenus culturels générés par les utilisateurs. L’idée de ce terme est de faire réfléchir à l’envie du public de ne plus être un simple receveur passif des connaissances mais un acteur. Les actions des passeurs de savoir comme Fred et Jamy, le développement de l’accès à l’information via Internet et les actions de médiation dans la culture ont modifié notre rapport à la connaissance. Nous voulons FAIRE, de plus en plus. Le côté descendant de la connaissance n’est plus accepté par les différentes générations. L’apport doit être co-construit de manière horizontale, en acceptant le fait que tout le monde apporte sa pierre à l’édifice.
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Lu, vu, entendu
Vous les avez peut-être ratées, muzeodrome a compilé ces informations et ressources pour vous :
P.O.V. | Le premier semestre 2024, alors qu’elle était en résidence au Musée d’Orsay, Hortense Belhôte avait proposé deux formats originaux : une promenade performée et un spectacle Escape Game. La créatrice de la série “Merci de ne pas Toucher” (voir Muzeodrome n°66) revient au Musée d’Orsay avec un format original et participatif de visite “à destination des jeunes gens”. Le 30 novembre 2024, j’étais dans les cobayes très volontaires de la première session. Dans ce format, inspiré par les POV circulant dans les réseaux sociaux, chaque participant·e est anemé·e à éduquer son regard sur une exposition temporaire (sa scénographie, son discours, ses choix…) puis à proposer son point de vue créatif en utilisant son smartphone. Un format de visite à la fois pédagogique, engageant et totalement délectable.
Quadrilatère | En 1976, à Beauvais (Oise), dans un remarquable bâtiment imaginé par l'architecte André Hermant, était inaugurée la Galerie Nationale de la Tapisserie. Celle-ci restera ouverte jusqu’en 2013. Le Quadrilatère adopte sa nouvelle dénomination en 2021 : il devient un centre d’art actif pendant trois années de préfiguration, de 2021 à 2023, avant de fermer ses portes pour travaux. “Dans un écrin réhabilité afin de moderniser le site et de révéler son patrimoine exceptionnel“, le Quadrilatère – Centre d’art de Beauvais rouvrira ses porte au printemps 2025. Avec Michel Kouklia, dans le cadre de notre partenariat KMnOP, nous avons le privilège d’accompagner le centre d’art dans la conception et le suivi de réalisation de son site Web au travers d’une AMO (un site conçu par 23Forward). Première brique de ce site, une page temporaire d’atterrissage qui vient d’être mise en ligne à l’adresse www.lequadrilatere.fr - la suite dans quelques mois…
Chimères | Du coté des lieux de spectacles vivants, pendant 6 années d’expérimentations, de 2018 à 2013, le programme de recherche Chimères a contribué “à faire émerger des méthodes, des compétences et des projets artistiques singuliers ainsi que des éclairages pour l’élaboration de nouvelles politiques culturelles pour la création artistique en environnement numérique”. Restitution du projet dans un document PDF d’environ 90 pages disponible dans le site Web du Lieu Unique de Nantes.
Merveilleux | “Daemons, fantômes, trolls, monstres, chevaux de Troie, vers… habitent nos ordinateurs et nos téléphones. Quel lien nous unit aux figures de ce bestiaire moderne ?“ - C’est la question qu’aborde l’anthropologue et chercheur spécialiste des cultures numériques Nicolas Nova dans son dernier livre “Persistance du merveilleux“ publié chez Premier Parallèle.
Dinosaure | En octobre 2024, Ivan Argote a installé dans la ville de New-York une sculpture ultraréaliste d’un pigeon géant. Au travers de ce projet intitulé “Dinosaur“, l’artiste a souhaité célébrer une figure emblématique mais souvent négligée des villes. “Les pigeons sont des animaux magnifiques - intelligents, prudents et loyaux. Et si nous les célébrions et les intégrions dignement dans les récits de nos villes ?”. Ces derniers mois, le pigeon repasse au premier plan dans les nouveaux récits des villes, le musée de Londres l’a même choisi pour son logo (voir les brèves de muzeodrome n°149).
Festival de la muséologie 2024 (suite) | Sur son site l’association Mêtis propose des retours sur l’édition 2024 du Festival de la muséologie qui avait pour thème “Sobriété : innover, renoncer, ralentir“: les podcasts des cinq tables rondes - les comptes rendus des tables rondes “La sobriété, définition et perspectives dans les musées” et “L’accélération muséale” ainsi que les posters de cette édition (édition où j’ai eu le plaisir de co-animer l’atelier “Communiquer sa sobriété auprès des publics” avec l’enseignante-chercheuse Marie Ballarini).
Après la Tech | Stéphane Schultz est consultant spécialiste des "transformations numériques" et créateur de l’infolettre 15 marches (que je vous recommande). Dans son ouvrage “Après la Tech”, il part du constat que “Malgré des décennies de belles promesses, [la «Tech »] se montre pourtant incapable de résoudre les «vrais problèmes» [...] Pire, en agissant comme si les limites physiques ne la concernaient pas, elle encourage une frénésie de consommation aussi dangereuse pour notre santé mentale que pour la planète“. Constat qui lui sert de point de départ pour explorer “les fondements de la révolution numérique pour y trouver les ferments de la prochaine, celle qui consistera à utiliser le pouvoir des technologies au service du bien commun”.
Enquêtes Patrimoniales d’OCCitanie (EPOCC) | “Rendre accessible et attractif le patrimoine de notre région“, tel est le projet d’un collectif de professionnels d’Occitanie (bibliothécaires et d'archivistes). Tout au long de l'année, les affaires et histoires intrigantes identifiées par le collectif sont distillées petit à petit dans un site Internet et un compte Instagram… (Un projet soutenu par l'Appel à Projet Patrimoine Écrit des bibliothèques 2024 /Brève via Sandrine Duclos).
Ciel bleu | Entre le MERL (The Museum of English Rural Life), Twitter et Elon Musk c’était toute une histoire d’amour et d’humour (voir aussi le n°11 de muzeodrome)… Les temps ont bien changés, le MERL a arrêté ses publications dans X et a ouvert un compte dans Bluesky. Le ciel est toujours plus bleu ailleurs, avant qu’il ne s’effondre. muzeodrome a aussi récemment ouvert un compte BlueSky et vous propose une liste de musées francophones ayant rejoint ce réseau social numérique.
Des humains + des œuvres d'art | Vous rependriez bien une petite dose de ‘People Matching Artworks’ - un diaporama présentant une sélection du travail de l’infatigable photographe Stefan Draschan.
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Voila, c’est déjà la fin de ce numéro 151 !
Avant de partir, n’oubliez pas de donner votre avis au travers d’un commentaire, d’un message ou d’un appui sur le 💜. Cette publication est publique, n'hésitez pas à partager ;-)
La suite au prochain numéro - à tout soudain,
o m e r
Je suis Omer Pesquer. Avec des approches inventives, j’accompagne depuis 20 ans les organisations et entreprises du secteur culturel dans leurs développements numériques (idées, conseils, stratégies, AMO...). J'assiste particulièrement les musées, centres d'art et sites patrimoniaux sur des projets et stratégies numériques.
Site Web ⁓ LinkedIn ⁓ Mastodon
P.S.: Merci à Michel Kouklia, mon partenaire dans KMnOP, pour la relecture de ce numéro (et des précédents).
P.S.2: le doomscrolling aurait aussi pu s’appeler le cheval sans fin → voir ici : http://endless.horse/ ;-)
J'adore "Merci de ne pas toucher" j'espère qu'elle fera une nouvelle saison !
Toujours aussi intéressant 😊