Bienvenue dans Muzeodrome, l’infolettre inspirante qui vous plonge dans la créativité des musées et des espaces d’expositions en établissant des ponts entre le passé, le présent et les futurs.
👉 Ce numéro 129 débute avec un petit boîtier historique…
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Une boîte bleue avec un bouton orange vif 🟦🟠
A la fin de l’été 2022, Muzeodrome publiait un numéro double autour de la désigneuse Susan Kare et du Macintosh Original dévoilé en 1984. Dans la seconde partie de celui-ci figurait cette citation :
”Il vaut mieux être un pirate que de s'engager dans la marine”
Steve Jobs - 1983
En 1983, Steve jobs se percevait peut-être toujours comme un pirate dans le sillage du premier produit qu’il avait construit avec Steve Wozniak quelques années avant la création d’Apple Computer, Inc.
“Nous sommes donc assis dans une cabine téléphonique et nous avons essayé de passer un appel avec la Blue Box… Une voiture de flics s'est arrêtée. Steve tremblait, vous savez, et il a placé la boîte bleue dans ma poche... Il me l'a donné parce que le flic s'est retourné pour regarder dans les buissons s'il y avait de la drogue ou quelque chose comme ça, vous voyez ? J'ai donc mis la boîte dans ma poche. Le flic m'a fouillé et m'a dit : "Qu'est-ce que c'est ?" J'ai répondu : "C'est un synthétiseur de musique électronique”… Le deuxième flic a dit : "À quoi sert le bouton orange ?". Steve a répondu "C'est pour l'étalonnage".”
- Steve Wozniak, lors d’une conférence au Computer History Museum (Mountain View, Californie, États-Unis) en 2002
A l'âge de 13 ans, Steve Wozniak construit son premier ordinateur et est élu président du club d'électronique de son école. A 19 ans, il rencontre le jeune Steve Jobs alors âgé de 14 ans. Les deux adolescents passionnés construisent et commercialisent en 1972 une Blue Box, un boîtier électronique qui permet de pirater le réseau téléphonique pour passer des appels gratuits à longue distance. (Cette activé le plus souvent frauduleuse est nommée phreaking en anglais).
Pour Steve Wozniak, la réalisation de ce dispositif était une occasion d’effectuer une prouesse technologique et de s’amuser. On raconte qu’il aurait utilisé le boîtier pour contacter le Pape au Vatican en se faisant passer pour le secrétaire d’État états-unien Henry Kissinger (voir muzeodrome n°36).
Pour Steve Jobs, la réalisation de ce dispositif était l’occasion de développer et de lancer sérieusement une première production. Production qui sera à l’origine de toutes les autres : de l’Apple I à l’iPhone en passant par le Macintosh (voir cette vidéo).
Les deux Steve n’étaient pas les seuls à construire ce type de boîtier (on peut citer les Black Boxes dont celle de William Claxton). Les Blues Box des deux Steves ont été fabriquées à une quarantaine d’exemplaires d’après Wozniak et vendues à une centaine d’exemplaire d’après Jobs ! Un petit nombre de ces exemplaires font aujourd’hui partie de collections de musées, principalement états-uniens, dont le Henry Ford Museum of American Innovation. Ces acquisitions entrainent la question : combien d’objets et documents liés à la piraterie informatique figurent dans les collections des musées ? En tout cas, une Blue Box des deux Steve serait une pièce de choix dans une exposition consacrée à l’histoire du piratage numérique - une exposition dont le titre pourrait-être “Pirater le Monde”.
Note 1 : En octobre 2019, Philippe Astor, journaliste indépendant spécialiste d'Internet et de l'industrie musicale, revenait en détails dans son infolettre @music_zone sur la mise au point de le Blue Box par les deux Steve.
Note 2 : c’est une fausse annonce publiée le 8 juillet 2023 par le Museum Of Portable Sound qui m’a donnée envie de revenir sur la Blue Box que j‘avais déjà évoquée dans Muzeodrome.
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Les baigneuses de menhirs 🌊
“Et si, les menhirs pouvaient prendre un bain…”
“ Le Voyage Fantastique imaginaire est une série de photographies constituée d’images provenant du fonds du Musée de Bretagne et ré-interprétées, un terrain de jeu photographique infini. Les images collectées sont ré-écrites, la réalité est mélangée avec la fiction pour créer une nouvelle histoire.”
Yann Peucat
Pendant plus d’un an, du mois de février 2022 au mois de juin 2023, l’artiste photographe Yann Peucat a été accueilli par le Musée de Bretagne (Rennes) pour une résidence « d’expérimentation ». Pendant celle-ci, il a sélectionné des photographies dans les riches collections du musée pour composer de nouvelles images proposant un “portrait fantasmé, drôle et décalé, de la Bretagne”. Son travail a aussi accompagné différents ateliers pendant la résidence (voir cet article de Manuel Moreau publié sur le musée dévoilé, le blog du musée de Bretagne).
”Les cartels qui accompagnent chaque image sont le fruit de plusieurs sources d'inspiration. Ils sont tout particulièrement inspirés d'un atelier d'écriture mené en partenariat avec la Maison du Livre de Bécherel et Virginie David en avril 2023.”
Musée de Bretagne
Autre point remarquable de ce projet, les images exposées utilisent le vieux procédé photographique du cyanotype.
“Le cyanotype est un procédé photographique monochrome négatif ancien, par le biais duquel on obtient un tirage photographique bleu de Prusse, bleu cyan. Cette technique a été mise au point en 1842 par le scientifique et astronome anglais John Frederick William Herschel”. (Wikipedia)
Antoine Moreau précise dans son article que ce procédé est “instable, archaïque mais riche en nuance et facile à partager avec un public non initié”.
Présentée au sein du parcours permanent du Musée de Bretagne, l'installation temporaire "Le Voyage fantastique” est à découvrir pendant tout l'été 2023.
Pour en savoir plus sur le photographe rennais Yann Peucat, je vous invite à explorer son site Web yannpeucat.fr et à lire l’entretien qu’il a donné au magazine en ligne des Champs Libres en juin 2023. A noter qu’en 2017, Yann Peucat avait accompagné l’ouverture des contenus du musée de Bretagne en publiant des GIF animés.
Et pour en savoir plus sur les baigneuses de menhirs, c’est par ici.
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Van Dyck en multiformat 🎨📚
En mai 2023, le musée du Louvre publie le catalogue raisonné de sa collection des tableaux de Van Dyck. Une publication exceptionnelle car au catalogue papier de 352 pages viennent s’ajouter trois éditions numériques gratuites : un livre en ligne (format web), un livre numérique (format ePub) et un PDF téléchargeables.
“En élaborant un livre dans des formats numériques adaptés au catalogue des peintures d’Antoon Van Dyck, le musée du Louvre s’engage : il affirme sa volonté de donner un accès gratuit, illimité et immédiat aux publications de la recherche scientifique menée en son sein, tout en affrontant le défi de la dématérialisation du livre d’art." (source)
J’ai questionné Camille Sourisse et Nicolas Taffin pour en savoir plus sur ce tour de force s’appuyant sur l’édition multiformat à source unique (Single-source publishing) et des technologies Web.
Bonjour Camille et Nicolas, pouvez-vous vous présenter brièvement ?
Camille > Je suis éditrice au Louvre, où j'assure le suivi éditorial des publications du musée, essentiellement des catalogues d'exposition. J'ai créé le projet d'édition multiformat et en ai assuré tout le suivi (administratif, juridique, éditorial...), en lien avec le service des Productions numériques.
Nicolas > Bonjour, je suis éditeur (https://cfeditions.com) et designer (https://polylogue.com). Pratiquant le Web to Print pour nos propres ouvrages depuis quelques années, j'ai été chef de projet de cette édition, réalisée avec Agathe Baëz et Julien Taquet, en lien permanent avec l'éditrice Camille Sourisse.
Pouvez-vous nous parler des éditions en ligne du catalogue des peintures d’Antoon Van Dyck ?
Camille > L'ambition de publier au Louvre des ouvrages scientifiques en libre accès a posé le défi de la dématérialisation des beaux livres, au contenu très fortement structuré et dont la maquette, la double page, jouent un rôle essentiel. Publier un livre multiformat nous a permis de travailler une version web au design et aux fonctionnalités très soignées, et en même temps, par les autres formats, d'assurer au livre sa dissémination, son référencement et sa présence en librairie et en bibliothèque, ainsi que son acquisition au format papier.
Quels sont les particularités graphiques et techniques de ces éditions ? Quels défis ces éditions ont-elles rencontré ?
Nicolas > Cet ouvrage possède quatre manifestations (web, imprimé, pdf et epub) réalisées à partir d'une seule expression : c'est ce qu'on appelle une édition multiformat en single source. Il respecte aussi des standards de publication scientifique et d'accessibilité. Les défis étaient essentiellement liés à sa nature de catalogue d'art : un volume important de données, et un besoin d'obtenir un rendu colorimétrique fidèle des tableaux. ET nous avons ajouté notre French touch : une maîtrise de la composition typographique qui permet de soigner chaque double page si on le désire.
La gratuité des éditions en ligne face au coût du catalogue papier (80.00 €) a t'elle posé problème ?
Camille > Notre publication librement accessible veut se rapprocher du "modèle diamant" de l'Open Access, où l'institution prend en charge les frais de publication, sans coût ni pour l'auteur ni pour le lecteur. Nous faisons le pari que la très large diffusion de la version numérique encouragera les ventes de la version papier. Néanmoins, du fait de cette gratuité, le Louvre a publié cet ouvrage sans coéditeur privé comme il le fait habituellement, ce qui a nécessité une nouvelle organisation en interne pour la prise en charge des tâches habituellement dévolues au partenaire commercial.
Nicolas > Le livre imprimé conserve toute sa valeur sur les rayonnages des spécialistes et des bibliothèques, mais nous ne doutons pas qu'une consultation ou un téléchargement gratuits va aussi rendre bien des services aux publics étudiants, et élargir l'audience auprès des curieux, des amateurs, etc.
Avec ce projet, Le Louvre semble prendre un engagement à long terme. D'autres projets hébergés dans livres.louvre.fr sont-ils déjà prévus ?
Camille > Oui, nous sommes en train de commencer un deuxième ouvrage, consacré à la collection des stèles puniques de Carthage. Nous aurons à relever quelques défis techniques pour peaufiner notre chaîne d'édition, car la publication d'un catalogue de 1400 stèles sera bien différente de celle d'un catalogue d'une trentaine de tableaux !
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Lu, vu, entendu ⚡
Avec le dragon ? Vraiment ? | Animé par Sonia Devillers et diffusé par Arte TV, le magazine Le dessous des images "propose une interprétation qui nous apprend à voir au-delà du premier regard". Son édition du 29 juin 2023 était consacrée aux mèmes venus du Moyen Âge et prenait comme point de départ un des plus fameux d'entre eux: le "really? with the dragon?" diffusé le 15 juillet 2022 par le compte Twitter @WeirdMedieval (weird medieval guys). Interviewée dans cette réjouissante émission d'environ 12 minute, Olivia m. Swarthout, la créatrice du compte @WeirdMedieval, revenait sur sa démarche et ses explorations dans les ressources en ligne. /Via @museecluny
Médiation postée | “Créer de beaux souvenirs pour donner envie de revenir et fidéliser le public…“ - Dans les pages du blog Exposcope, Lucie Revellin explique ce qu’est la médiation postée (aussi nommée médiation volante). Elle raconte avec délicatesse et précision son expérience d’un an au Muséum de Bordeaux. Dans cet article, elle donne aussi quelques conseils aux futurs médiateurs et médiatrices posté·e·s.
Vive les mathématiques | Avez-vous entendu parlé de la Maison Poincaré ? Attendu depuis plusieurs années et situé à Paris, ce lieu dédié à l’influence des mathématiques dans notre quotidien devrait bientôt ouvrir ses portes. En septembre, octobre, novembre ou décembre 2023, les paris sont lancés…
Connections | “Vous ne pouvez pas relier les points avec impatience ; vous ne pouvez les connecter qu'en regardant vers l'arrière. Vous devez donc avoir confiance que les points se connecteront d'une manière ou d'une autre dans votre avenir.” Steve Jobs. Du 29 février 2016 au 20 novembre 2018, le Henry Ford Museum of American Innovation avait publié une série de vidéos de 2 minutes intitulée “Connect 3“ (25 au total). Série où un conservateur ou une conservatrice choisissait trois artefacts parmi les millions figurants dans les collections du musée pour révéler les liens cachés qui les unissaient. L’idée était excellente mais la réalisation et les scénarios des vidéos l’étaient moins (pour en avoir une idée vous pouvez par exemple regarder celle sur les découvertes accidentelles). Une idée qui pourrait être réactivée de façon plus moderne aujourd’hui. Patrimoine Pirate | Le 28 juin 2023, Kenneth Goldsmith était au Jeu de Paume à Paris pour une conférence à la fois cool et engagé dans le cadre du lancement de l’édition française de "Duchamp is my Lawyer” (2020). Consacré à UbuWeb et publié par JBE Books, ce livre qui fait date est titré “Patrimoine Pirate“ (oui avec le mot Patrimoine barré). J’y reviendrais dans une prochaine édition de l’infolettre. Et si les noms d‘UbuWeb ou de Kenneth Goldsmith ne vous disent rien, téléportez-vous dans les numéros 48 et 78 de l’infolettre.
Disparaître | Quel serait l’équivalent actuel de la Blue Box (voir la première notule de ce numéro) ? Peut-être un dispositif qui effacerait systématiquement toutes nos traces numériques. Un dispositif qui nous permettrait de disparaître plutôt qu’être présents à l’autre bout du monde.
Vacances | Et si les œuvres du musée partaient en vacances - c’est la proposition faite par le Musée des Beaux-Arts de Lyon. En tous cas, pendant l’été 2023, les publications de Muzeodrome continueront à être régulières. Vous pouvez d’ores et déjà noter les dates de parution des trois prochains numéros dans vos agendas : mercredi 26 juillet (n°130), mercredi 9 août (n°131), mercredi 30 août (n°132).
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C'est tout pour cette fois - la suite au prochain numéro - à tout soudain,
o m e r
Je suis Omer Pesquer - j'accompagne et conseille les organisations culturelles pour stimuler leurs rencontres avec leurs publics au travers de leurs déploiements numériques. Mobilisant différentes approches créatives, mon travail se focalise particulièrement sur les redirections vers d'autres numériques.
P.S.1.: Merci à @dr_kouk pour la relecture de ce numéro.
P.S.2.: Les nombreuses éditions précédentes de l’infolettre Muzeodrome sont consultables ici.
Bonjour, Atelier cyanotype également au Musée du Revermont dans l'Ain ! https://patrimoines.ain.fr/n/exposition-s-en-cours-et-a-venir/n:699#p2493