Salut à toutes et tous,
Bienvenue dans Muzeodrome, l’infolettre inspirante qui vous plonge dans la créativité des musées et des espaces d’expositions en établissant des ponts entre le passé, le présent et les futurs.
L’orientation de Muzeodrome autour d’autres formes numériques s’affirme encore plus à partir de ce numéro. Dans l’infolettre seront mise en avant des propositions créatives qui font appel à la simplicité, la diversité et la sobriété. Bonnes découvertes.
▙
Une histoire au bout du fil ☎️
Sur son profil Linkedin, Samy Rabih indique qu’il est développeur PHP. Mais depuis quelques temps, une autre activité le passionne, celle-ci consiste à installer de vieux téléphones dans les musées.
Bonjour Samy, d'où t'est venu l'idée d'une histoire au bout du fil ?
Je fais partie de Museomix (marathons créatifs annuels dans les musées) depuis longtemps, mais l’absence d'événements pendant l’année a toujours été une grande frustration, alors quand j’ai croisé un vieux téléphone aux puces en 2021, ça a été le déclic : pourquoi pas lancer mon propre projet? Mon premier modèle d’appareil a d’ailleurs été utilisé pour un prototype Museomix d’une équipe au musée de Sismologie au Jardin des Sciences de Strasbourg.
Comment trouves-tu ces téléphones ?
Avec ma compagne, on est de grands amateurs de brocante :) Les sites de vente en ligne sont également une bonne ressource. Le problème désormais est de s’arrêter, j’en ai plus d’une trentaine à la maison !
Comment fonctionnent ces téléphones ? Quels types de contenus proposent-ils ?
Le principe de base est simple : je décroche et j’écoute. Plusieurs versions existent, mais elles partagent des points communs : l’utilisation d’un vieux téléphone et d’un circuit Arduino. La plus simple permet l’écoute à chaque fois qu’on décroche (au hasard parmi les enregistrements déjà présents), une autre permet de choisir le son qu’on veut jouer via le cadran rotatif du téléphone.
Et la dernière va permettre d’enregistrer et d’écouter des sons via le combiné de l’appareil, pour servir par exemple de livre d’or.
Les contenus sont ceux que mes clients y mettent, je ne conçois que le réceptacle :) Mais on y trouve des enregistrements du standard des pompiers, ou en alsacien sur l’histoire de l’Alsace par exemple.
Chaque téléphone est-il choisi spécifiquement en fonction des contenus qu'il présente ?
Oui, les clients qui font l’acquisition de mes appareils peuvent choisir le modèle qu’ils vont avoir en fonction de leurs besoins (à cadran/sans cadran, en bois, en Bakélite, avec ou sans écouteur supplémentaire). On peut même me fournir un téléphone existant pour que je l’adapte (c’est le cas pour l’écomusée d’Alsace par exemple).
Ta démarche est orientée lowtech, est-ce un choix conscient de ta part ?
C’est clairement une volonté de ma part de donner une seconde vie à des appareils existants, oui. J’aurais pu tout imprimer en 3D, rajouter du WiFi, de la détection de mouvements, mais non : cette démarche vaut aussi et surtout par ce “recyclage”.
Une anecdote par rapport à la mise en place de tes téléphones ?
Petite anecdote : un des premiers téléphones que j’ai vendu est utilisé pour contenir des fictions érotiques autour de l’épanouissement sexuel et de la sexualité positive et inclusive.
Pour en savoir plus direction le site web d’’Une histoire au bout du fil” > https://unehistoireauboutdufil.fr/
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La reine de l’ère de l’information 👑
Pendant son règne, la reine Elizabeth II a mobilisé les nouvelles technologies de l'information et de la communication pour amplifier sa visibilité et le soft power de l’Angleterre ainsi que pour promouvoir un musée scientifique situé à Londres.
Depuis Royal Signals and Radar Establishment, le 26 mars 1976, Elizabeth II a envoyé un message électronique dans ARPANET - le réseau qui allait devenir Internet au début des années 1980. Son message avait pour objectif de mettre en avant Coral66, un langage informatique développé en Angleterre. En 2012, dans les pages du magazine états-unien Wired, le journaliste Cade Metz rappelait que cette action avait été rendue possible grâce à Peter Kirstein (1933-2020), grand pionnier de l’Internet en Europe. Dans cet article, Metz rapportait les souvenirs de Kirstein à propos de la venue de la reine : “Tout ce qu'elle a eu à faire, c'est d'appuyer sur quelques boutons et son message a été envoyé."
Le 24 octobre 2014, Elizabeth II avait publié son premier tweet depuis le Science Museum de Londres. Ce tweet préparé à l’avance annonçait l'ouverture de l’espace permanent du musée consacré à l’ère de l’information. Le 7 mars 2019, la reine avait publié son premier post Instagram à nouveau depuis le Science Museum. Ce post présentait une lettre manuscrite écrite en 1843 par Charles Babbage pour l’arrière-arrière-grand-père de la reine, le prince Albert. Dans le texte qui accompagnait la photographie de la lettre, la reine indiquait :
“Charles Babbage, considéré comme le premier pionnier de l'informatique au monde, a conçu la “Machine à différences”, dont le prince Albert a eu l'occasion de voir un prototype en juillet 1843.
Dans cette lettre, Babbage racontait à la reine Victoria et au prince Albert son invention, la "Machine Analytique", sur laquelle les premiers programmes informatiques ont été créés par Ada Lovelace, une fille de Lord Byron.”
La reine concluait le texte de son post Instagram par :
"Il me semble approprié de publier ce post Instagram au Science Museum qui défend depuis longtemps la technologie, l'innovation et inspire la prochaine génération d'inventeurs.”
/Merci à Jean Abbiateci qui m’a donné l’idée de cette notule au travers d’un tweet.
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Dériver dans la ville 🏨
J’ai la forte conviction que “d’autres numériques sont possibles”. C’est aussi le cas des fondateurs d’Hérétique.
“Nous pouvons penser ensemble des mondes numériques alternatifs en accord avec nos cultures, nos valeurs et notre humanité.” Hérétique
Bonjour Kevin Guive Echraghi & Antoine Mestrallet, pourriez-vous nous présenter Hérétique et ses ambitions?
Hérétique est une organisation qui œuvre pour penser, créer et transmettre un numérique alternatif à la doxa défendue par les géants de la Silicon Valley. Au-delà de la critique, nous désirons plus que tout faire émerger un numérique plus aligné avec nos aspirations individuelles et collectives, et aider tout type d’organisation à faire de même. Nous nous situons à la frontière entre un think-tank, un cabinet de conseil et un studio de création, et éditons des projets assez variés !
Un de vos projets les plus aboutis est Dérive...
Dérive est une application qui engage l’utilisateur à expérimenter un déplacement différent en ville. L’application fonctionne à la manière d’une boussole qui permet de s’orienter vers un lieu choisi, sans notion de durée, ni d’itinéraire prédéfini. Dérive aide à redécouvrir ce que les apps comme Google Maps nous ont fait oublier : intuition, surprise, confiance en l'autre, inefficacité, flânerie, orientation et désorientation. À partir de Dérive, nous bâtissons des partenariats avec des acteurs publics et privés pour créer des expériences surprenantes et ancrées dans un territoire.
Vous avez travaillé avec l’artiste Judith Depaule pour créer des balades sentimentales augmentées autour de la Maison des métallos (Paris 11ème) en vous appuyant sur Dérive – pouvez-vous nous en dire plus ?
Dans le cadre des Journées européennes du Patrimoine, nous avons lancé à la Maison des métallos la Balade Sentimentale du bas Belleville. Judith Depaule (Mabel Octobre et l’Atelier des artistes en exil) a collecté depuis un an des récits de vie et d’exil dans ce quartier riche de multiples vagues d’immigrations. De ces récits, elle a tissé des fils d’explorations, véritable cartographie sensible de Belleville. À l’aide de Dérive, le public est amené à déambuler depuis la Maison des métallos vers les zones de récit, en choisissant des fils au hasard ou à l’intuition. C’est une expérience numérique profondément ancrée dans l’espace qui redonne toute sa place à la découverte sensible d’un territoire et de ses habitants.
Après le 17 septembre 2022, est-il possible d'accéder à la balade et comment ?
La balade est offerte par la Maison des métallos au quartier du bas Belleville. Elle restera donc accessible bien au-delà du 17 septembre ! Pour initier la balade, il faut se rendre à l’accueil de la Maison des métallos, car un peu de médiation est nécessaire pour bien vivre cette expérience.
Le nombre de contenus numériques proposés lors de la balade est important. Celui-ci va-t-il évoluer dans les mois et années à venir ?
Il y a en effet autour de cent zones de récit. Et la balade va continuer à être enrichie par de nouveaux témoignages, car les habitants se passent le mot et veulent raconter leur histoire à Judith. S’il est clair que personne ne visitera l’ensemble des zones de récit - les participants visitent en moyenne 6 zones en 1h30 - il n’y a pas d’enjeu à épuiser tous les lieux. L’objectif est plutôt que chaque participant vive une balade qui lui est unique, tout en se rendant compte de l’immensité de ce qu’il ne -connaît pas. Et de pouvoir reprendre sa balade un autre jour. C’est une expérience vivante et inscrite dans le quartier pour le long-terme.
Pour vous, quels sont les enjeux de la mise en place d’autres formes de numériques dans les institutions culturelles ?
Outre les enjeux évidents de sobriété et de souveraineté, il y a un enjeu à inventer un numérique qui nous ressemble, un numérique culturellement français et européen ! C’est un de nos axes de recherche.
Une découverte à partager aux lectrices et lecteurs de Muzeoderome ?
Occlusion Grotesque, une géniale police de caractères. Côté bouquins : Homo Confort de Stefano Boni et la BD Ni Web Ni Master de David Snug.
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La persistance des signes 👀
L’exposition "Icônes by Susan Kare" présentée ces derniers mois au musée de l'imprimerie et de la communication graphique de Lyon a fermé ses portes le 18 septembre 2022 - mais vous pouvez continuer d’explorer le numéro de l’infolettre consacré à l’iconographe numérique. Il n’est d’ailleurs pas impossible que je publie d’autres articles sur son travail en lien avec les musées. Je commence d’ailleurs tout de suite ;-)
Lors d’un voyage professionnel effectué début septembre 2022 à Toulouse, j’ai découvert dans les collections permanentes du Musée Saint-Raymond un panneau mosaïque datant de l'époque romaine - ce tableau ayant la particularité de présenter un symbole qui fait beaucoup penser à celui de la touche "commande" des ordinateurs Macintosh (voir ici pour comparer les deux symboles).
Pour mémoire, le symbole de la touche "commande" des ordinateurs Macintosh a été mis en place par Susan Kare pendant la conception du Macintosh Original en 1983. Pour celui-ci, Kare a copié un symbole présent sur des panneaux de signalisation suédois signifiant un site touristique intéressant - ce symbole s'inspirant fort probablement de l’architecture du château de Borgholm (Suéde).
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Lu, vu, entendu ⚡
Vous les avez peut-être ratées, Muzeodrome a compilé ces informations et ressources pour vous :
Téléphones | Pour rebondir sur la première notule de ce numéro, je vous avais déjà parlé de dispositifs téléphoniques dans le numéro 36 de l’infolettre (juin 2020). Dans une notule intitulée “Allô, allô, allô“, je revenais sur le service de blagues enregistrées lancé en 1973 par Steve Wozniak, le co-fondateur d’Apple, et aussi sur les installations "Dial-A-Poem" du poète John Giorno.
Affiches | "Dark Vador m'a tout piqué..." - les différentes affiches de la dernière campagne du musée de l’armée présentées dans le métro parisien ont été très remarqués. Celles-ci tissant des liens avec multiples univers : science-fiction, musique, mode…
Infolettre | Au sommaire du n°1 de La botte de Champollion, l’infolettre sur l'héritage colonial et la décolonisation des musées : “la disparition de la reine Elizabeth secoue le Commonwealth, la restitution des bronzes du Bénin avance au UK et Allemagne, et bien d'autres actus !” (un numéro publié par Sébastien Magro le 15 septembre 2022)
Wikipédia | “Nicolas Vigneron est pour un an en résidence Wikipedia au Musée de Bretagne, aux Champs libres à Rennes (Ille-et-Vilaine). Il va alimenter Wikipédia avec les notices du musée, former le personnel et faire participer les Rennais.” (Ouest-France - Fabienne Richard - 15 septembre 2022) - A suivre dans les prochains mois…
GIFs animés | Le Petit Palais (Paris) a fait appel à Tiphaine Touzeil (alias Pamela Chougne) pour accompagner le lancement de son exposition consacrée à l'artiste André Devambez (exposition “Vertiges de l'imagination” du 9 septembre au 31 décembre 2022). En 2020, dans le n°23 de l'infolettre, j'avais interviewé Tiphaine Touzeil sur son travail pour Paris Musées.
Infolettre | Dans son édition du 15 septembre 2022, la très bonne infolettre arobase publiée par Alexandre Léchenet propose un entretien avec James Kerr (alias Scorpion Dagger). En mai 2022, j’avais interviewé celui-ci à l’occasion de la campagne de communication effectuée pour la réouverture du Musée de Cluny.
Blog | Je vous recommande régulièrement le blog Exposcope consacré à la médiation culturelle. Pour vous donner envie de lire celui-ci, voici les titres de ses trois derniers articles : “La galerie des plans-reliefs à hauteur d’enfants” (sur la galerie des plans-reliefs du Palais des Beaux-Arts de Lille), “Veni, Vidi,… Choisi !” (sur les les réserves du MuséoParc d'Alésia) et “Le musée d’Aquitaine, sensible et inclusif” (trois articles signés par Lucie Revellin).
Infolettre | Si vous souhaitez recevoir plus d’informations courtes sur l’actualité des médiations muséales, je vous recommande de vous abonner à l’infolettre bimensuelle “Médiation, politiques culturelles, musées et patrimoine“ conçue et rédigée par la médiatrice Rachel CHENU.
Urgence écologique | Les enjeux écologiques questionnent de plus en plus précisément la société et certaines visions du futur (voir la tribune “Métavers : les studios alertent sur son impact environnemental” publiée par le site Bon Pote). Dans ce contexte, plusieurs médias ont participé à la rédaction de la «Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique». Le domaine culturel pourrait s’inspirer de celle-ci, particulièrement les musées.
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Voila, c’est déjà la fin de ce numéro 115 .
Merci pour votre attention - Je suis Omer Pesquer 🧵- spécialiste des technologies, des formats et des usages associés aux numériques. Ma conviction est que d'autres numériques sont possibles. Une conviction que je mets en pratique dans mes missions ► https://omer.mobi/
La suite au prochain numéro - à tout soudain,
o m e r
P.S.: Merci à @dr_kouk pour sa relecture.
Merci Omer ! Toujours aussi agréable à lire et inspirant! Ce numéro m’a fait penser au théâtrophone expérience qui m’a toujours fascinée: https://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1983_num_13_41_4655
Et pour découvrir sa ville différemment, j’ai découvert récemment un guide publié en 2003 par Lonely Planet :
Une synthèse :
https://www.lonelyplanet.fr/article/tourisme-experimental-40-facons-insolites-de-voyager
Le livre avec de nombreux exemples d’applications :
https://www.goodreads.com/book/show/348337.The_Lonely_Planet_Guide_To_Experimental_Travel
J'ai vraiment trouvé tout ce qu'il y avait dans cette lettre passionnant et inspirant!
Je découvre aussi la mosaïque du Musée Saint Raymond de Toulouse (que je vois en ce moment-même de ma fenêtre) et la touche commande de mon clavier a maintenant une petite histoire.
Enfin, je viens même de commander les deux livres recommandés par les Hérétiques!
Bref, un vendredi matin qui ouvre plein de portes, de pistes et d'envies... vivement la suite!
Merci beaucoup!