Dans les boucles animées
Muzeodrome #110 - Spécial GIF animé
Salut à toutes et tous,
Bienvenue dans Muzeodrome, l’infolettre inspirante qui vous plonge dans la créativité des musées et des espaces d’expositions en établissant des ponts entre le passé, le présent et les futurs.
Ce numéro 110 est un numéro spécial consacré au GIF animé. Depuis son lancement, l’infolettre Muzeodrome vous a plusieurs fois parlé de cette forme médiatique (challenge GIF IT UP dans les n°2 et n°97, entretien avec Tiphaine Touzeil dans le n°23, note de Damien Petermann dans le n°26 …). Deux événements récents ont été des signaux forts pour la réalisation de ce numéro : le décès fin mars 2022 de Steve Wilhite, le concepteur du format GIF, ainsi que la campagne de réouverture du Musée de Cluny mobilisant l’esthétique de ce format particulier (voir ci-dessous).
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Longue vie aux boucles animées 🔄
Du 1er juin 2017 au 24 mars 2019, le Museum of the Moving Image - MoMI - (New York, USA) présentait l’exposition “The GIF Elevator”. Cette exposition n’était pas la première du musée consacrée aux boucles animées.
“Le GIF a fait l'objet d'une série improbable de réinventions depuis son introduction en 1987 en tant que format de données. Aujourd'hui, le GIF est un espace important d'expression culturelle et artistique, une forme d'image en mouvement établie et omniprésente, définie en partie par le silence, la brièveté, la possibilité de partage et, surtout, la boucle.”
Museum of the Moving Image - The GIF Elevator
La boucle est vraiment ce qui définit le format GIF animé. Une boucle courte qui reprend le principe des jouets optiques du XIXe siècle (zootrope, praxinoscope, phénakistiscope, …). Toutefois celle-ci n’était pas présente à l’origine du format.
1987, quelques années avant l’arrivée du web, CompuServe est le premier des grands fournisseurs de services en ligne aux États-Unis. A cette époque, la bande passante est fortement limitée par les technologies disponibles. En s’appuyant sur l’algorithme de compression de données “Lempel-Ziv-Welchil” (LZW), l’ingénieur Steve Wilhite met au point pour CompuServe la première version du Graphics Interchange Format: le GIF 87a. Format qui permet de diffuser des images compressées avec une perte de qualité minimum et un affichage qui peut être progressif. Les GIFs circulent alors dans les espaces partagés d’avant le web (les services en ligne, les BBS et les serveurs FTP dans Internet). En 1989, Steve Wilhite et son équipe mettent au point une nouvelle version du GIF qui permet la transparence et l’animation : le GIF 89a. Mais les GIFs ne bouclent pas encore tout seuls.
1993. Développé au centre de recherches états-uniens National Center for Supercomputing Applications, NCSA Mosaic est le navigateur web qui a popularisé le web. Il est le premier navigateur à afficher directement des images dans les pages web - images aux formats GIF et XBM (La première image en couleurs affichée dans une page web est un GIF). En 1994, une grande partie de l'équipe à l'origine de Mosaic quitte le NCSA pour développer Netscape Navigator. Publié en septembre 1995, la seconde version du navigateur de Netscape intègre “Netscape Looping”, une extension au format GIF 89a. Avec celle-ci les GIF bouclent enfin. Les boucles animées déferlent alors dans le web, en commençant par les sites qui hébergent des pages personnelles comme Geocities (troisième site le plus visité du web en 1999). Initié par l’Internet Archive, le site Gifcities.org conservent aujourd’hui une partie des GIFs animés de Geocities.
Du 4 décembre 2012 au 24 février 2013, le MoMI présentait l’exposition “Under Construction” (En construction) qui affichait 322 fichiers GIFs animés provenant des millions de sites web personnels hébergés par GeoCities (images récupérées par l’Archive Team, un collectif de préservation numérique). Cette exposition était organisée par le conservateur associé des médias numériques Jason Eppink qui a été jusqu’en 2018 le principal instigateur de toutes les actions du musée autour des GIFs. En 2018, le MoMI associé à Small Data, une société spécialisée dans la préservation numérique, diffusait “Long Live the Animated GIF” qui est à ce jour l’étude la plus complète sur le format GIF dans un cadre muséal.
”Aujourd'hui, le plus souvent, lorsque l'on rencontre un "GIF" sur l'internet, il s'agit en fait d'une vidéo dans les codecs webm ou MPEG-4. Cela est dû au fait que la compression vidéo est plus efficace, ce qui signifie moins de données à stocker et moins de données à transmettre aux utilisateurs.”
Extrait de l’étude “Long Live the Animated GIF”
(Très) Longue vie aux boucles animées.
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Mais qui est Scorpion Dagger ? 🦂🗡️
Au début des années 2000, James Kerr étudie l'histoire et les sciences politiques à l’université Concordia (Montreal, Quebec, Canada). A cette époque, il traine avec les étudiant·e·s d’art et rejoint un collectif artistique où il réalise des collages papier. Après quelques années, il se dit qu’il serait amusant d’animer les collages qu’il compose. Il apprend alors les bases de l’animation avec Photoshop et publie dans Youtube ses premières réalisations : des séquences de 2 à 5 secondes. Mais il manque à celles-ci quelque chose d’essentiel: la boucle infinie. Sur les recommandations d’un ami, il adopte le format GIF animé pour ces créations.
En 2012 pour parfaire sa technique, il lance le projet Scorpion Dagger - un projet dont l’ambition est de publier un GIF animé par jour pendant un an dans Tumblr. Pour celui-ci, il commence par utiliser des images de ses propres collages, puis des images glanées un peu au hasard dans le web et un jour il tombe sur des peintures de Giotto!
“Les choses ont en quelque sorte explosé dans mon cerveau. Après cela, je n'ai cessé de revenir aux peintures du début de la Renaissance. Je suis devenu obsédé par l'idée de créer un monde pour ces personnages, comme s'ils avaient une vie dans laquelle ils se rendaient après la fermeture du musée.” (Extrait d’un entretien publié en 2018 dans le n°5 de Razor Lit mag)
Les GIFs animés de Scorpion Dagger racontent de petites histoires qui se déroulent dans un même plurivers qui s’étend à chaque animation. Pour ses créations, James Kerr trouve son inspiration dans les peintures elle-mêmes mais surtout dans son quotidien.
“Avant j’avais l’habitude de regarder le tableau et trouver des idées à partir du tableau, un peu comme si je laissais la peinture me dire comment l’animer. Mais maintenant je vais faire un tour à vélo et je vois un truc loufoque, et je me dis “Oh ce serait marrant en animation”.” (Extrait d’un entretien effectué dans le cadre Festival du GIF scientifique en juillet 2020)
Depuis 2012, James Kerr n’a pas arrêté de publier des GIFs animés en gardant soigneusement une esthétique un peu désordonnée à ses réalisations. Une esthétique très reconnaissable qui peut faire penser à celle des animations de Terry Gilliam pour les Monty Python.
“Il est difficile de nier que Terry Gilliam est une influence pour moi. Ce n'est certainement pas intentionnel, mais j'ai vu des tonnes de Monthy Python en grandissant, et leurs animations ont toujours été mes parties préférées. J'imagine que mes principales influences, en plus de la sienne, sont le skate des années 90 et les scènes punk et hardcore des années 80.” (Extrait d’un entretien dans le blog SDC /Sivasdescalzo.com).
► Scorpion Dagger : site - tumblr - twitter - instagram..
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Un Moyen Âge très animé ⚔️🦄
Pour sa réouverture le 12 mai 2022, le musée de Cluny (Paris) a lancé une campagne de communication remarquable : “Le Moyen Âge Nouvelle Génération”. Pour cette campagne, le musée a fait appel à l’agence Oficina Paris et à l’artiste James Kerr (alias Scorpion Dagger). Résultat de cette fructueuse collaboration : plus d’une douzaine de mini-scènes animées à l’humour savoureusement décalé et la composition d’une luxuriante affiche présentant des dizaines de personnages. J’ai posé à James Kerr quelques questions à propos de ce projet hors-norme qui ouvre des portes vers d’autres imaginaires.
James, avez-vous déjà visité le Musée de Cluny ? Est-ce le premier musée avec lequel vous avez travaillé ?
Je n'ai jamais visité le Musée de Cluny. J'ai bien mangé un sandwich dans le parc situé derrière, mais je ne sais pas si cela compte. Le Musée de Cluny n'est pas le premier musée avec lequel je travaille. J'ai fait un petit travail pour le Musée des beaux-arts ici à Montréal, et quelques autres petits projets avec d’autres musées en Europe, mais le projet pour le Musée de Cluny est certainement le plus important en termes de visuels produits.
L'affiche pour la réouverture du musée et l'animation associée sont composées de beaucoup d'éléments ? Est-ce l'une de vos œuvres les plus complexes ?
Beaucoup, beaucoup d'éléments. C'était vraiment amusant de fouiller dans la collection du Musée de Cluny et d'y ajouter des éléments de mon travail. L'animation elle-même compte des milliers de couches. J'ai fait des travaux similaires en termes de complexité - celui-ci est proche du sommet.
Comment avez-vous travaillé avec le musée ?
C'est à l'initiative d'Oficina Paris. Ils m'ont contacté pour me demander si j'étais intéressé à travailler avec eux sur ce projet, et je suis ravi qu'ils l'aient fait. C'est un projet très amusant.
Comment s’est effectuée votre collaboration avec Oficina Paris au niveau de l’affiche ?
Ils ont été géniaux dans le sens où ils m'ont laissé beaucoup d'espace pour faire ce que je fais, mais ils m'ont aussi donné des indications très précieuses lorsque c'était nécessaire. L'affiche est sans aucun doute une collaboration dans le meilleur sens du terme.
Le fait de travailler avec le Musée de Cluny a-t-il changé votre vision du Moyen Âge ?
Oui, en effet. J'ai toujours su que le Moyen Âge n'était pas aussi sombre et brutal qu'il est souvent dépeint dans la culture populaire, mais je ne l'avais pas vraiment compris avant de me plonger dans la collection du musée de Cluny. J'ai tendance à regarder le monde à travers le prisme de l'humour, et j'ai trouvé beaucoup de choses dans ces œuvres. Je crois vraiment que c'est le plus souvent intentionnel.
Rien que pour vos yeux, voici quelques unes des mini-scènes animées réalisées pour le Musée de Cluny : annonce de la réouverture (14 mars 2022), des licornes authentiques, un dragon menaçant, la propreté au Moyen Âge, la pêche aux hommes-poissons (1er avril 2022), des blagues médiévales, les isoloirs, la banlieue, le poids de l’armure, pour impressionner sainte Mabille, en route vers la réouverture. (les liens pointent ici vers Twitter mais vous trouverez les mêmes animations dans le compte Instagram du musée).
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Les GIFs de Digitalis 🌱✨
Dans le cadre de Digitalis, son agence, Solweig Mary réalise des GIFs animés qu’elle publie dans la plateforme Giphy. Le compte de l’Agence Digitalis totalise au moment où j’écris ces lignes une cinquantaine d’animations et plus de 7 millions de vues. Son GIF le plus vu/utilisé est un buste féminin (animation d’une figurine Elamite issue des collections du MET) - un GIF publié en réponse à la censure de certaines œuvres muséales dans les réseaux socionumériques.
► https://giphy.com/agencedigitalis
Solweig, tu annonçais le 13 avril 2022 que ton Agence était “vérifiée GIPHY”, peux-tu nous en dire plus?
Faire vérifier le compte GIPHY de l’Agence Digitalis constituait une étape essentielle puisque celle-ci permet le référencement des GIFs sur GIPHY, une fois évalués par la plateforme (contenu décent ou non) et mis en ligne. En recherchant @agencedigitalis ou des tags spécifiques, les GIFs référencés apparaissent ensuite dans les barres de recherche de GIFs chez leurs partenaires comme Facebook, Instagram, Twitter, Whatsapp ou TikTok par exemple.
Le compte GIPHY "agencedigitalis" présente pour l'instant des animations de deux types différents…
Mon souhait initial était d’expérimenter un format créatif et de m’amuser ! GIPHY propose deux formats :
les « clips », que l’on retrouve sur Twitter, généralement utilisés pour réagir ou qui s’apparentent à des memes.
Et les « stickers », littéralement des autocollants animés et plutôt utilisés dans les stories Instagram. Pour ces derniers, j’ai utilisé des illustrations libres de droit. Tout se joue ensuite dans le montage du GIF, sur Photoshop !
Penses-tu que le retour actuel de l’esthétique du “GIF animé” est une mode ou d'une tendance plus profonde ?
Pour moi, on est bien sur une tendance de fond. Les GIFs ne datent pas d’aujourd’hui : ils me bercent depuis l’adolescence et fêtent d’ailleurs leur 35 ans cette année ! L’un des tous premiers GIFs est toujours très utilisé. Incontournable dans les sous-cultures virtuelles, c’est aussi un format conversationnel très puissant, à l’instar des emojis.
Aurais-tu d'autres créatrices ou créateurs de GIFs animés à recommander aux lectrices et lecteurs de Muzeodrome ?
On est plutôt sur du motion design, mais j’adore le travail de Baptiste Picq. Pour trouver l’inspiration, jetez aussi un œil du côté de “GIF IT UP”, un concours annuel international de GIFs porté par Europeana. Il valorise les œuvres du domaine public ou sous licence libre/ouverte tout en mettant en lumière des créatrices et créateurs de talent.
Note : dans le n°97 de l’infolettre (oct. 2021), j’avais déjà interviewé Solweig Mary, cette fois sur le sujet des esthétiques web.
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SITEM 2022 ⚡
Les inscriptions visiteurs pour le SITEM 2022 - salon international des musées, des lieux de culture et de tourisme - sont maintenant ouvertes.
Rappel : Muzeodrome est partenaire de la 26ème édition du SITEM qui aura lieu les 28, 29 & 30 juin 2022 au Carrousel du Louvre (Paris).
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Voila, c’est déjà la fin du numéro 110.
Merci pour votre attention, je suis Omer Pesquer, consultant spécialiste des technologies et des usages associés au numérique. Mon travail se concentre particulièrement sur les "autres numériques" et l’”univers étendu” des institutions culturelles.
La suite au prochain numéro - à tout soudain,
o m e r
P.S. : Merci à @dr_kouk pour sa relecture.
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L’article sur le Musée de Cluny m’a appris beaucoup ! Merci et bonne continuation !
Éric
Merci encore une fois pour toutes ces informations 🙌🏿