Bienvenue dans Muzeodrome, l’infolettre inspirante qui vous plonge dans la créativité des musées et des espaces d’expositions en établissant des ponts entre le passé, le présent et les futurs.
👉 Pendant l’été 2023, les numéros de l’infolettre s’écarteront parfois un peu des musées. Ce numéro 130 commence par une voix fantôme...
▙
Une voix d’outre-tombe ⚰️🗣️
“I don't know where the artificial stops and the real starts.”
Andy Warhol (1928-1987)
Depuis mars 2022, NetFlix diffuse un documentaire en 6 épisodes qui s’appuie sur les journaux intimes qu’Andy Warhol avait composés après sa tentative d’assassinat par Valerie Solanas en 1968.
La particularité de ce documentaire dans sa version originale est l’utilisation d’une forme d’IA. Les extraits des journaux de Warhol ont d'abord été lu par l'acteur Bill Irwin. Ensuite, les enregistrements sonores du comédien ont été manipulés par un programme de la société Resemble AI pour imiter les cadences et les inflexions particulières de la voix de Warhol (vous pouvez en écouter un extrait ici).
Le documentaire ne cherche d’ailleurs pas à mentir à ses spectateurs, il indique clairement quel processus technologique a été utilisé pour faire parler les journaux intimes de l’artiste. La voix plate et presque robotique que Warhol avait construite comme trait de sa personnalité se prêtait remarquablement à ce glissement de réalité.
Un article en anglais d’Angela Watercutter publié par le magazine Wired en mars 2022 revenait en détail sur la création de cette voix “regénérée”. Un article qui souligne aussi les problèmes éthiques que posent ce genre de démarche. Problèmes dont l’un des plus sensibles est probablement : faut-il obligatoirement passer à l’acte si une technologie le permet ou au contraire renoncer face aux dangers qui peuvent s’ouvrir en l’utilisant.
Un questionnement actuellement palpable au travers de la grève des acteurs états-uniens à Hollywood dont un des motifs est leur potentiel “remplacement par machines”. Les grosses compagnies de l’industrie cinématographique souhaitant poursuivre une idée proche de certains scénarios dystopiques. Des acteurs, dans un premier temps des figurants, seraient payés une seule fois pour des scans de leur corps ou de leur voix - ces scans servant de sources à des avatars qui pourraient être utilisés autant de fois et aussi longtemps que ces compagnies le souhaiteraient dans des films, des séries, etc. Ici comme dans d’autres secteurs, il est plus question de précarisation que de remplacement.
Note : N’hésitez pas à me donner votre opinion sur ce sujet en commentaire de ce numéro.
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Des médias synthétiques 🟦🟠
Dans The Innevitable en 2016, Kevin Kelly prédisait que dans l'avenir les IA, devenues fiables et bon marchés, seraient derrière tout. Toutefois, d'autres observateurs des évolutions technologiques restent plus en retrait et affirment que "la plupart des promesses faites ne se produiront pas". Alors que les IA génératives sont dans toutes les conversations, j’ai souhaité interroger Gerald Holubowicz, veilleur des médias synthétiques.
Bonjour Gerald, peux-tu te présenter et nous indiquer comment se manifeste ton intérêt pour ce que l'on appelle communément les IA génératives ?
Photojournaliste entre 2000 et 2010, j'ai travaillé pour des agences de presse en France et aux États-Unis. Passionné d'images et d'innovation, j'ai ensuite exploré le webdocumentaire et la narration transmedia avant de devenir chef de produit dans la presse. Aujourd'hui, en tant que consultant média spécialisé dans l'innovation éditoriale et l'IA dans l'information et la création de contenus, j'aide les entreprises à comprendre les enjeux et à se positionner sur ce sujet. Depuis 2017, je documente l'essor des deepfakes et plus récemment des IA génératives sur journalism.design et dans ma newsletter SYNTH. Un podcast intitulé "IMAGINAIRES" est aussi prévu pour septembre.
Si tu devais effectuer un court résumé de tes observations actuelles sur ce sujet, que dirais-tu ?
Le sujet représente un enjeu économique crucial pour la tech mondiale, offrant un nouvel élan à des startups en quête de croissance. Cependant, cela peut mener à des excès, comme l'appropriation non consentie de données et des fantasmes sur l'IA générale. Les IA génératives, bien qu'utiles pour améliorer la qualité du travail, pourraient attirer les entreprises pour leur gain de productivité, avec des conséquences potentiellement négatives pour les employés et la qualité du service. Prudence est donc de mise.
Du coté des musées, des expérimentations sont en cours. As-tu eu connaissance de celles-ci ou as-tu des avertissements à donner au musée ?
J'ai eu l'occasion de croiser la fondatrice de Ask Mona qui me semble fournir un service intéressant. En termes d'avertissement, il est consistant avec toutes les industries qui demandent une forme de rigueur ou d'exactitude des informations: faites attention aux erreurs des IA génératives qui inventent parfois des contenus de toute pièce.
Selon-toi, les futurs co-pilotés par IA ont-ils plus de chance d'ouvrir nos imaginaires ou au contraire de renforcer nos biais, nos addictions et nos peurs ?
Il s'agit pour moi d'évaluer la somme des effets positifs et négatifs de la technologie pour en estimer sa pertinence pour nos sociétés. Pour le moment, les effets dans le réel des IA génératives penchent plutôt en défaveur de leur large adoption. Discriminations, invisibilisation des minorités, travailleurs exploités, données piratées sans consentement, pornographie et pédopornographie, problèmes de cybersécurité. Ce sont les véritables défis éthiques de l'IA pour l'occident et je ne vois aucun effort pour les adresser à leur juste mesure.
Note : sur les fantasmes de l’IA générale, direction le n°125 de l’infolettre titré “Désolée d'avoir tué l'essentiel de l'humanité“ - et sur les deepfakes, direction le n°111 de l’infolettre titré “Le monde trouble des visages changeants“.
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MuzeoRoulette 🎰
Lorsque, j’ai été interviewé par Courriel, la newsletter des newsletters 💌, en mars 2023, j’ai été un peu trop long. Et inévitablement des parties de mon entretien sont passées à la trappe. Dans une de ces parties, je parlais d’un petit script que je venais développer et qui permettait de glisser vers un numéro de l’infolettre Muzeodrome tiré au hasard. Script dont je ne vous avais pas encore parlé jusqu’à présent.
Tentez votre chance en cliquant sur le bouton “MuzeoRoulette” ci-dessous. Qui sait la lecture du numéro de l’infolettre tiré au hasard changera peut-être votre vie ;-) 3. 2. 1. 0. Cliquer !
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Le passé et la curiosité 🏺🔎
Lors de la 14ème édition des Journées Européennes de l’Archéologie, en juin 2023, j’ai rencontré une partie de l’équipe de “Past and Curious”.
Ensuite, j’ai eu envie de leur poser quelques petites questions…
Past and Curious c'est quoi, c’est qui ?
Past and Curious est une association loi 1901 qui illustre la recherche scientifique archéologique sous forme de dessins animés (en accès libre sur internet) et sous forme de dessins non animés.
www.youtube.com/c/pastandcuriousCette association a été fondée en 2019 entre amis, tous en étude d’archéologie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle est constituée aujourd’hui de cinq membres permanents, Astrid Amadieu (graphiste), Elodie Beaulieu, Pauline Debels, Mathilde Jean et Bastien Rueff (équipe scientifique et administrative) qui travaillent en collaboration avec des animateurs, des monteurs, des ingénieurs du son, des comédiens et des musiciens etc.
Comment procédez-vous pour réaliser un dessin animé d'archéologie ? Quelles techniques utilisez-vous ?
Les dessins sont réalisés sur Illustrator par notre graphiste puis mis en mouvement par un animateur sur des logiciels spécialisés. Les voix-off sont enregistrées en studio et l’ensemble de la bande son, musique comprise, ainsi que les animations, sont mis en forme par un monteur. Et voilà c’est prêt !
Comment se déroule un projet lorsque vous travaillez avec une institution culturelle ? Combien de temps prend une production ?
Le chercheur et un membre de l’équipe se réunissent pour mettre au point un scénario, qui sera ensuite soumis à la graphiste et à l’animateur pour validation. Nous collaborons ensuite avec un monteur, un ingénieur du son, des musiciens et des comédiens pour donner vie au dessin animé. L’ensemble prend en moyenne trois mois.
Si vous deviez recommander une seule de vos productions, ce serait laquelle et pourquoi ?
« L’agriculture néolithique à la loupe » est un dessin animé très complet, qui montre l’intérêt de croiser les travaux de différents chercheurs pour restituer les techniques agricoles du passé.
Des projets de dessins animés pour des institutions culturelles qui vous ont inspirés ou totalement bluffés ?
Il n’existe pas beaucoup de dessins animés sur l’archéologie mais l’équipe apprécie de regarder les productions de « Karambolage » (C. Doutriaux, E. Könnemann, W. Legros, B. D’Antras, C. Pelvaux ; Arte), ou encore « Culottées » (P. Bagieu, M. Nguyen, C. Cambon ; France TV).
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Lu, vu, entendu ⚡
Tombe | En complément à la première notule de ce numéro, je rappelle qu’une webcam filme en permanence la tombe d’Andy Wharhol - voir à ce propos le n°53 de l’infolettre.
Topologies soniques | En 2021, le studio numérique MetaObjects a conçu une installation singulière pour le M+ museum (Hong Kong). Pour ce projet, le studio a travaillé avec l'artiste sonore Ryo Ikeshiro en se basant sur une impression 3D d'une œuvre du musée - Work, une peinture de l'artiste Yamazaki Tsuruko datant 1967. "En plaçant et en déplaçant leurs mains sur différentes parties d'un relief topographique imprimé en 3D de l'œuvre, les visiteurs peuvent utiliser la peinture comme une « carte sonore », où leurs mains sont suivies à l'aide de l'apprentissage automatique, créant une expérience multisensorielle par la vue, l'ouïe et toucher" → A découvrir ici.
Trop de cool | L’émission “Gymnastique” d’Arte a dédié l’un de ses épisodes à Susan Kare. L’épisode de 5 minutes est très plaisant à regarder avec son montage rapide rempli d’images d’archives. Mais 5 minutes cela reste très court et le temps manque pour montrer dans quel cadre à la fois historique et de travail, la pionnière du design numérique a évolué (par exemple, ce n’est pas Susan Kare qui a conceptualisé l’icône de la poubelle). Pour un petit peu plus de complexité, je vous invite à (re)lire le numéro double de Muzeodrome publié pendant l’été 2022.
Ouverte | Le numéro 144 de la revue “Culture et Recherche” (printemps-été 2023) est disponible. Téléchargeable gratuitement, ce numéro de 140 pages est consacré à “La science ouverte”. Des ouvertures qui s’effectuent aux moins à quatre niveaux : celui des contenus (Open Content), celui des données (Open Data), celui de l’accès (Open Access) et celui des logiciels (Open Source et Logiciel Libre). Extrait de la présentation de la revue : “Ce changement de paradigme « faire science par, avec et pour la société » s’accompagne aujourd’hui d’une démarche qualitative en quête de plus grande accessibilité et de découvrabilité.'“ /via François MILLET
Folklore | Vous connaissez probablement Wiki Love Monuments mais connaissez-vous Wiki Loves Folklore ? Wiki Loves Folklore un “concours photographique international organisé chaque année sur Wikimedia Commons pour documenter les cultures traditionnelles de différentes régions du monde”. Les photographies qui ont remportées les prix de l’édition 2023 sont au bout de ce lien hypertexte.
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Bravo, vous avez réussi à lire tout ce numéro 130 !
Si vous avez envie d’aller un peu plus loin, je vous invite :
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→ Par avance merci, ces actions gratuites récompensent mon travail 🤗.
La suite au prochain numéro - à tout soudain,
o m e r
Je suis Omer Pesquer - j'accompagne et conseille les organisations culturelles pour stimuler leurs rencontres avec leurs publics au travers de leurs déploiements numériques.
P.S.1.: Merci à @dr_kouk pour la relecture de ce numéro.
P.S.2.: Les nombreuses éditions précédentes de l’infolettre Muzeodrome sont consultables ici.
*** Vous avez lu ce numéro jusqu’ici, vous méritez un petit bonus. Je vous propose la chanson Andy Warhol de David Bowie (publiée sur son quatrième album studio Hunky Dory en 1972). Il est nécessaire de préciser ici que la fascination entre les deux artistes n’était pas vraiment réciproque ***